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Benoit Autiquet

 


02 octobre 2021

De retour

C’est la rentrée du site du Mouvement Transitions, et la traditionnelle lettre est de retour, qui annonce les textes mensuellement publiés sur le site. Nous espérons vous retrouver reposés, et soulagés que l’été ait pu avoir lieu sans trop d’encombres.

Les « conversations critiques » reviennent, et commentent cette fois-ci le Retour à Reims de Didier Eribon – dans le prolongement de celles qui, l’année dernière, et en marge de notre séminaire consacré à la notion de « minoritaire », s’étaient intéressées à des textes d’Edward Saïd, d’Amy Gutman, de Frantz Fanon ou bien encore d’Anne-Emmanuelle Berger. L’aller-retour entre Paris et Reims qu’Eribon raconte, et les difficultés linguistiques et sociales qu’il suscite pour l’auteur (apprendre la langue du dominant, et retrouver parfois sa langue d’enfance pour ne pas froisser les dominés que l’on a quittés) semblent traités dans des termes trop exclusivement sociologiques aux yeux d'André Bayrou . Plutôt que d’être vu comme le moyen d’une conquête des classes supérieures, l’apprentissage scolaire de la langue, interroge-t-il, ne pourrait-il pas être considéré comme une aide pour « assumer d’un même élan nos appartenances et nos explorations, le lieu (social) dont nous venons et les autres espaces qui nous aimantent » ? Augustin Leroy, pour sa part, regrette qu’Eribon divise rigidement la langue des dominés et celle des dominants, et préfère penser le problème à partir d’une autre scène autobiographique : celle durant laquelle il aide un ami en situation de très grande précarité économique et linguistique à écrire une lettre de motivation, mais où cet ami le corrige en riant : « C’est pas ma langue, ça, personne va y croire. Change ! ». Dans les allers-retours entres langues minoritaire et majoritaire, faut-il dramatiser la distance, ou souligner les proximités, les points de passage ? La question traverse un appel à communication émis par des doctorants de Paris 8. Il y est question d'exil, de traduction et d'hospitalité. Nous le relayons ici, puisqu'il n'est pas étranger au thème de notre séminaire. 

Dans un lieu social bien plus homogène, Roland Barthes ne traite pas moins, au soir de sa vie, d’un retour impossible : à la jeunesse, à la beauté, au désir et, en l’occurrence, à « l’amour d’un garçon » qui lui a rendu visite chez lui mais qui pourtant se refuse. Cette anecdote est l’occasion, aux yeux de Guido Furci, d’une « rencontre presque tangible entre l’écrivain et la postérité à laquelle il s’adresse », qui compenserait presque l’esseulement du corps délaissé. Quant à Hélène Merlin-Kajman, elle hésite à vouloir consoler l’écrivain : jusqu’à un certain point, elle pourrait se substituer au « garçon », pour dire à l’éconduit que « ce n’est pas si grave » ; mais elle s’avise aussi, dans une phrase où Barthes se trouve « trop scrupuleux ou trop maladroit pour imposer » son désir, qu’il a du jeu amoureux une conception quelque peu datée : « l’expansion, la contagion heureuses du désir auquel rien ne devrait faire obstacle ». Après MeToo, cela nous sépare peut-être un peu plus de Barthes : « Etrange nouvelle tristesse… ».

 L’adage de ce mois-ci est usuellement employé pour décrire l’attitude de quelqu’un qui n’a que faire de la possibilité des retours : « Après moi, le déluge ! ». Mais comment, s’interroge Pierre-Antoine Fabre, peut-on prononcer cette phrase, alors même que dans la Bible, tout ou presque vient après le déluge ? Est-ce à dire que nous serions des créatures antédiluviennes ? Pas impossible : preuve en est la conception de l’Eglise chez un Athanasius Kircher, qui en fait une Arche coincée en haute mer, avant la décrue, « toujours en attente de l’ultime Jugement ». Quant à moi, avec une érudition moins grande, je songe aussi aux catastrophes à venir, à mes parents qui ont peut-être pensé « Après moi, le déluge ! », à la tragique difficulté de composer un « nous » qui pourrait nous le faire éviter, et à ce qu’il y aura après le déluge : le retour de quelqu’un qui dira « moi », peut-être.

Ce qui ne doit pas nous empêcher d’annoncer un avenir un peu plus immédiat :

- la poursuite du séminaire sur le même sujet (« Lectures minoritaires, lectures majoritaires : où en sommes-nous ? » ), qui commencera, cette année, le 30 novembre.

- la poursuite des conversations critiques en lien avec le sujet du séminaire : le mois prochain, un texte de Pierre Bourdieu, extrait de La misère du monde.

- l’adage du mois prochain : « Qui trop embrasse mal étreint ».

- et la saynète : un texte de Nabokov.

Bonne rentrée !

B. A.

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