Augustin Leroy

 


08 mai 2021

L'air du temps

L’air du temps nous entoure, et nous lie, et nous sépare. C’est pour lui donner une place discursive que nous avons décidé d’en faire une nouvelle rubrique, qui accueille, pour son ouverture, trois textes : l’un, de François Jacquet-Francillon, retrace l’histoire de la notion de race et se demande si le temps de l’aujourd’hui ne lui a pas substitué celle d’identité. Deux autres, sous forme d’un débat épistolaire, reviennent sur la domination masculine, #MeToo, et la valeur politique de la littérature : une lettre courageuse de Dominique Dupart adressée à Hélène Merlin-Kajman, affirme son désaccord avec certains arguments avancés par cette dernière dans son dernier livre La Littérature à l’heure de #MeToo, auquel nous consacrerons la conversation critique et la séance de séminaire de ce mois-ci. Dans sa réponse, H. Merlin-Kajman s’empare du différend, le creuse, pour lui donner amplitude et résonance. L’air du temps, quoique chargé de colères et de blessures, vibre entre et avec nous.

Mais l’air du temps, c’est aussi le visage provisoire que prend le temps qui continue de passer. Au mois d’avril, nous avons discuté des propositions défendues par Jérôme David, que le séminaire de Transitions a accueilli après avoir publié trois conversations rédigées par Hélène Merlin-Kajman, Brice Tabeling et moi-même. Il y était question « d’informalité » et de « littérature mondiale », de Marvin Gaye et de « cabane à bouquins ».

Oui, l’air du temps se condense, change et nous change, comme le dessinent la saynète de Guido Furci et la mienne, traversant un extrait de Carole Martinez, où une narratrice s’adresse, entre autres, au paysage de son enfance. Ce retour à soi, qui conduit aux « Murmures  » intérieurs, n’est pas étranger au trouble de Natacha Israël, qui, dans son sablier, se remémore sa jeunesse pour en partager le souvenir avec les jeunes gens, dont la liberté est aujourd’hui asphyxiée par l’air vicié du Covid-19.

Heureusement, l’air du temps ne tourne pas qu’à l’orage ou la suffocation, il accueille aussi de bonnes surprises, « une chatonne » à laquelle je destine un Sablier, ou encore les interrogations d’une classe de 5e autour de l’existence des « dragonnes », comme nous le raconte merveilleusement le Journal de Virginie Huguenin.

Des surprises, mais aussi des étonnements, des tentatives un peu hasardeuses, mais risquées en conscience, de trouver du sens là où les significations se dérobent : c’est à cela que s’essayent Michèle Rosellini, Hélène Merlin-Kajman et moi-même, commentant l’adage « Chat échaudé craint l’eau froide ».

Ainsi, l’air du temps, tour à tour écrasant et inspirant... Malgré toutes les pesanteurs contemporaines, c’est en lui que nos rêves et nos paroles, nos craintes et nos désirs, « s’arrachent, non sans la violence singulière que comporte la culture.» (C. Mouchard, dans son livre sur Les équivoques de la modernité).

A. L.

Prochaine saynète  : un extrait de Federico Tozzi, Les bêtes.

Prochain adage : « Comme on fait son lit, on se couche.»

Prochaine conversation critique : un texte d'Hélène Merlin-Kajman