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Augustin Leroy

 


06 février 2021

Sensations politiques

« Je n’ai jamais su me penser en dehors d’un « nous ». Et pourtant, depuis le début de la pandémie je me demande avec une certaine insistance dans quelle mesure, au cours de ma vie, j’ai su me reconnaître véritablement dans un sujet pluriel ou dans une action collective quelconque.»

Ces mots sont tirés du magnifique sablier de Guido Furci. Utilisant cette forme née du confinement de mars 2020 pour inscrire « ce qui nous arrive », l’auteur partage avec les lecteurs ses interrogations : comment traduire ces sensations politiques qui traversent notre mémoire d’enfance et inquiètent nos convictions, nos engagements ?

Cette hésitation, je la retrouve dans le commentaire d’un texte de Sutzkever que Boris Verberk nous donne. Lui non plus ne cède pas au « besoin du fin mot ». Au contraire, sa lecture fine devient un geste d’exploration intérieure doublée d’une réflexion sur les référents qui hantent la scène. Quel accueil donner aux « reproches successifs que ce texte éveille », à la symbolisation mythique, terrifiante de l’extermination ? Dans son commentaire du même texte, Guido Furci se demande également comment soutenir cette scène, « qui cherche à présentifier la mémoire » et à en témoigner. Et c’est de nouveau grâce au souvenir d’enfance qu’il peut, au lieu même du sacrifice, assurer au bœuf sacrifié – et à lui-même – qu’il n’est pas seul et ainsi présenter « un sourire humain » au spectacle de l’horreur.

Sur un autre rivage, venu continuer nos réflexions sur le minoritaire et le majoritaire, André Bayrou s’empare d’un passage du Gai Savoir de Nietzsche. Proposant une lecture du philosophe à contrepied de son usage par la modernité, l’auteur préfère ne pas choisir entre lecture subversive et lecture humaniste. Il s’étonne, plutôt, de sentir que « c’est la parole éloquente et bien ordonnée qui défie par sa vitalité l’effondrement représenté en tragédie ». Ainsi, au bord de l’abîme, la beauté vient des belles formes, loin du cri ou du bégaiement qui accompagnent « la confusion des passions ordinaires ».

Et puis, nous rions – ce qui n’est pas du luxe - comme vous le verrez dans les commentaires qu’Hélène-Merlin-Kajman et moi-même proposons, autour du célèbre adage « faut pas pousser mémé dans les orties ». D’un rire partagé, parfois complice, mais aux tonalités différentes, aux musiques hétérogènes et toujours avec le souci de mesurer les effets de ce rire sur ses destinataires.

Nous rions aussi, lorsque nous devons présenter nos excuses à nos lecteurs pour une bévue du mois dernier, repéré par un bénévole et bienveillant lecteur en alerte : le texte de nos conversations critiques n’était pas de Charles Taylor mais de l'introductrice à un texte de Taylor, Amy Gutmann. Pan sur le bec transitionnel, dirons-nous.

Blague à part et toute honte bue, peut-on parler d’un « nous » à Transitions ? Cela n’a rien d’évident et j’hésite, tant le « nous » - le « nous » en général, tout « nous » - a perdu de sa substance depuis un an. Mais au fil de ces hésitations, j’ai le sentiment qu’un lieu commun, un « nous » instable, par moments se dessine dans la puissance de soulèvement des interrogations.

A. L.

Prochaine saynète : un extrait de Christine de Pizan, tiré du Livre du Duc des vrais amants.

Prochain adage : « A chaque jour suffit sa peine. ».

Prochaine conversation critique : le texte de Nietzsche évoqué ci-dessus, issu du Gai Savoir ; et, bien sûr, le texte d'Amy Gutman laissé en suspens.

 

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