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Mathilde Faugère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Novembre-décembre 2016

 

 

Où il est question de chuchotements, de nœuds à demi-faits et de colimaçons.
      
C’est la lettre mensuelle de Transitions.

« Nous tentons de nous recevoir cahin-caha ». La phrase m’est apparue au cœur de la définition de « don » de Tiphaine Pocquet. Entre les « on », les « il », à la place du je, j’ai vu poindre le nous. Il naît, tout de suite un peu tourmenté, un peu maladroit. Cela va « cahin-caha », cela ne marche pas si bien, mais c’est bien là, cherchant à recevoir. Ce n’est pas si facile, de recevoir. Je tente.

Je l’ai alors vu réapparaître plus loin, ou plus tôt, ce nous, toujours aussi mêlé, incertain. Il a été rattrapé, in extremis, à l’issue de la définition de Dialectique de Gérald Sfez, « inespér[ant] ». Il était aussi le nous non décidé, non dit, créé par « elle » et « lui » dans la définition de « Difficulté » de Lise Forment et Brice Tabeling. Et ce qu’on recherchait, avec Queneau, avec Eva Avian, dans un lien temporaire, pas plus, pas beaucoup, mais il naissait alors de la civilité bourrue qui « me soulage des circonstances particulières de mon amertume ». Il est alors un peu lâche et si beau – comme la détente du point non tiré, du nœud non serré.

Souvent, en cheminant, je suis certes passée auprès de « je », assistant alors à des retrouvailles, voyant remonter des souvenirs. J’ai redécouvert, là, par la mémoire du corps, des gestes du passé. Michèle Rosellini m’a rappelé avec le chuchotement comme une « première expérience enfantine de l’intimité ». Gilbert Cabasso retrouve, au passé, au présent, avec Elio Vittorini « le trésor dilué » des moments de l’enfance, la sienne, la mienne, pris dans les plis de textes. Natacha Israël, en chantant du Berger, en commentant du Camus fraye, entre le moment de la « répugnance à l’identification » et celui de « la gorge serrée », un chemin possible. Elle écrit alors le corps de Meursault, et son chant à elle, et le mien. Nous allons, « la peine s’élevant alors en colimaçon ».

Beaucoup aussi étaient désirants, j’en tremble avec eux. Ils désirent plus, que voulez-vous ! Ces désirs, comme le nous, sont parfois hésitants comme celui qui apparaît dans l’ébriété d’Eva Avian, « avide et plus incertain », certains ressemblent fort à une fuite en avant : « bref, tout, sauf rester transi », désirais-je moi-même. Ils font prendre des risques à ceux qu’ils habitent, comme les pots de fer et les pots de terre qui ne peuvent être sauvés dans la fable d’Hélio Milner. Mais ces désirs, sont aussi volontés, contre toutes les objections de velléités, contre toutes les exclamations, contre tous les cynismes discernés par David Kajman : « je n’attends des mondes que ce que nous en ferons ». Et le désir devint immense, exorbitant pour soi, encombrant pour les autres. Mais André Bayrou maintient, étudie, se fait alchimiste. Et lorsqu’on a trouvé, on désire encore, reprend Gilbert Cabasso, Vittorini toujours. Il fait résonner, pour les catanais que nous sommes, « ce désir qui ne s’accommode pas de ce qui est ». Histoire recommençant, je suis Pénélope, inlassable.

Il a donc fallu ralentir, faire le travail de la nuit, j’ai dû écouter, je m’étais laissée emporter. Un temps d’arrêt, avec Mary Shaw, « mesmerized, for sure, by the strong scent of my own uncertainty. » Un autre, avec Perrault, et Lise Forment : « on peut tout perdre sans se retourner ». Des considérations m’arrivent, plus lentement : Jules Brown qui digresse, et raconte, ce que l’urgence du présent peut avoir de cynique, Ivan Gros examinant nos désirs de littéraires, « la tentation du sens caché », Brice Tabeling, lisant le New York Times, observant les mouvements fous du présent et « témoign[ant] du hiatus » et Hélène Merlin-Kajman observant et triant dans la dialectique pour y trouver la contradiction, l’aimant, « d’un amour un peu désespéré ces temps-ci. »

Du nous, des je, des « il faut », du désir et son arrêt, des hiatus et des transitions. Cent personnages, mille mots, chacun avec sa syntaxe, ses images, les lignes narratives se mêlant. Un dernier, pour vous quitter, dans ce petit coin immense de « Juste », en haut à droite, puis en redescendant, là où habitent aussi les fabulistes et les chanteurs, du côté de Coline Fournout, il est arrivé quelque chose :

« L’Araignée a trouvé foyer à sa mesure :

Foyer sans l’usure

Car toujours en mouvement,

Roulis permanent

Où l’on braille et murmure. »

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