Juste une fable n° 70

 



 

 

Trope n° 34

 

 



La cage et le pinson bleu

 

 

Helio Milner

18/03/2017

 



La mer océane travaillait jour et nuit, et le temps au présent ressemble à son passé.

Nous sommes inquiets pour son futur.

 

Il m’arrive de l’attendre.

Le ciel serait gris comme de l’ambre et l’océan virant au noir.

Par des jours semblables où mon cœur s’étreint, j’attends son pas sautillant sur la lande battue par trop de vent.

 

Mais un soir de novembre agité par ce vent, un son l’accompagne que je ne connais pas.

Un gazouillis d’oiseau, penserai-je, le cœur étreint par quelque chose que je ne connais pas.

— Mais oui, me dit-il en surgissant.

Et voilà qu’il pose sur la table une cage où sautille un oiseau.

L’enfant guettait mon regard en souriant.

 

— Il a une aile un peu blessée, dirai-je après quelques minutes de silence où chacun de nous deux goûte le bonheur de se retrouver.

— Exactement, me dit-il.

— Tombé d’un nid ? demanderai-je en lui rendant une myriade d’étoiles.

— Non, me dit-il. Des griffes d’un chat.

— Plus grave encore ? demanderai-je doucement.

— Cela dépend comme on l’entend, me répond-il en souriant.

 

J’ai compris son signal.

Le futur fait mal. Mais il n’est pas là encore, et rien n’est jamais sûr.

 

— Oui, approuve l’enfant qui suit ma pensée dans mon regard. J’ai sauvé l’oiseau des griffes du chat. Et toi, tu vas le sauver de sa blessure.

— Et nous le libérerons, c’est ça ?

— Évidemment ! Que ferait bien le ciel sans les oiseaux ?

— Mais les prochains chats ?

— Chat échaudé craint l’eau froide, affirme-t-il en s’asseyant joyeusement.

 

Il me guette des yeux en s’amusant de voir ma pensée courir.

C’est un beau jour de novembre malgré l’hiver, malgré le vent.

Je tais mes peurs et mes questions.

 

La mer océane remue ses vagues inlassablement, remue sa houle, remue le sable.

 

— Tu n’as rien fait au chat ? demanderai-je, méfiant.

— Un seau d’eau froide ! Car tel est pris qui croyait prendre !

 

Entre nous un silence pensif.

 

— Tu y crois vraiment ? demanderai-je, encore méfiant.

 

J’aurais dû taire mes peurs et mes questions.

Sa figure est devenue pâle.

Nous nous dévisageons en silence.

Le passé fait mal,

le présent fait mal,

le futur fait mal.

 

Mais pas que.

 

Il me défie comme si souvent.

Et son courage m'étonne comme si souvent.

Je sais qu’il connaît mes peurs et mes questions.

Un moment nous cauchemardons ensemble. Chat écorché, oiseau brûlé. Cieux noirs et terre en cendre. Soleil en excès, flammes. Givre partout, feu partout, fuites partout.

Partout, l’effroi.

 

L’enfant ne sourit plus. Et je vois comme la tristesse gagne son visage.

Mais pas longtemps : et voilà que bientôt il repousse ce cauchemar, refuse la catastrophe d’un dénouement.

 

— Mais cette fable, je ne l’ai pas écrite, lui ferai-je alors remarquer. Et je libèrerai l’oiseau, sois-en sûr.

 

— Tu as vu ? C’est un pinson bleu, me dira-t-il en me quittant.

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