Conversation critique n°7.1

 


Beaucoup d’entre nous avons été initiés à l’histoire littéraire par le Lagarde et Michard, dans lequel ne figuraient que deux auteures femmes ou du moins reconnues comme telles : Madame de Lafayette et George Sand [1] . Madame de Sévigné et Marceline Desbordes-Valmore avaient droit à la mention de leur nom en passant, mais pas à un morceau choisi de leur œuvre. Verlaine, Rimbaud[2] ou Aragon, après Baudelaire, ont eu beau saluer en Desbordes-Valmore une précurseure et un modèle, les poètes étant peut-être plus larges ou plus « femmes » d’esprit que d’autres genres d’hommes de lettres (mais ça c’est une immense question que je laisse de côté), l’histoire littéraire lui a préféré les épanchements de son contemporain Lamartine. On attend toujours par ailleurs, en France du moins, une histoire de la littérature française, sinon occidentale, qui prendrait la mesure de ce qui s’est passé au XXe siècle, en l’occurrence une véritable explosion de la littérature faite par des femmes (je ne dis pas nécessairement de littérature féminine). La même chose s’est produite du côté des arts visuels. Le XXe siècle en littérature est, pour la première fois, le siècle des femmes. Pour la première fois, les plus grands écrivains du xxe siècle ne sont pas seulement des femmes bien sûr, mais sont aussi, indéniablement, des femmes. C’est l’indice d’une véritable révolution culturelle, dont on ne semble pas avoir pris vraiment la mesure[3] .

Cette approche que je qualifie globalement d’historienne est donc nécessaire, elle constitue une vraie contribution scientifique dont s’enorgueillissent à bon droit les études de genre lorsqu’elles expliquent, et s’expliquent à elles-mêmes, comme elles le font souvent depuis quelque temps, « ce que le genre fait aux disciplines[4] . Voilà donc ce que le genre fait ou peut faire à la discipline littéraire et j’essaie moi-même d’apporter ma contribution à cet effort, même si ce n’est pas mon objet principal ni le trait principal, j’y reviendrai, de mon intervention dans le champ des études de genre. J’ajoute quand même au passage que les Women’s Studies puis les Gender Studies américaines et britanniques ont lancé ce type de projet et de recherches dès la fin des années soixante-dix, et que les chercheuses et chercheurs français et francophones dans ce domaine ont largement bénéficié des apports de la recherche américaine qui a, la première, interrogé de ce point de vue le canon littéraire français et proposé nombre d’œuvres de femmes oubliées ou minorisées à la relecture.

Mais ce n’est pas la seule façon de penser et de pratiquer « l’épinglage » – pour emprunter un mot à Foucault – des études de genre sur les études littéraires et j’en évoquerai rapidement une autre, avant de passer au second volet de ma question : non pas « qu’est-ce que le genre fait à la discipline littéraire ? » mais « qu’est-ce qu’une approche littéraire peut faire aux études de genre ? »

Faire de la littérature dans une perspective dite « de genre », c’est aussi contribuer au renouvellement de la lecture des œuvres canoniques. C’est une banalité que de le dire, mais je veux donner un exemple concret de la portée du geste. Prenons les Lettres Persanes, œuvre canonique s’il en est, de la littérature française, et qu’on étudie dès le lycée en morceaux choisis. Je ne sais pas, là encore, ce qu’il en est aujourd’hui, peut-être qu’on n’étudie même plus Montesquieu au lycée, mais quand j’étais lycéenne, les morceaux choisis dans les Lettres Persanes étaient toujours choisis parmi les lettres échangées entre Usbek et Rica, ou entre l’un d’entre eux et l’un de leurs amis persans. Ce sont, nous le savons, des lettres mi-ethnographiques mi-philosophiques, qui portent sur le café à Paris comme sur les différents régimes monarchiques, le problème de la justice, la question du commerce, etc. Or les Lettres Persanes comportent en réalité un double système d’échange épistolaire ; elles sont à double fond. Il y a d’un côté le discours de la philosophie éclairée qui circule entre amis – voyageurs ou restés au pays – de genre masculin (c’est ce que j’appelle la scène de l’amicale humaniste internationale, traditionnellement de genre masculin), de l’autre les lettres en provenance ou en direction du sérail d’Usbek, dans lesquelles se révèle la nature despotique du pouvoir exercé par Usbek sur ses femmes. Et à la fin des Lettres persanes a lieu, non pas une révolution de palais, mais une révolution de maison, une révolution du ou au sérail, dans des termes qui font penser que le politique, l’action révolutionnaire et la philosophie éclairée ne sont pas nécessairement ni exclusivement du côté où on les croyait et où on faisait semblant de les cantonner. Aristote a fait très exactement la théorie du dispositif des Lettres Persanes dans sa Politique, c’est-à-dire celle de la séparation entre la sphère domestique et la sphère politique, qui a marqué toute la pensée et le traitement occidental du politique et de la politique jusqu’à récemment. D’un côté, la communauté des hommes libres (libres donc aussi de voyager), de l’autre, la sphère domestique où le mari exerce sa domination de droit et de fait sur les femmes et les esclaves, ainsi que sur les enfants. Ce maître-mari a un nom en grec, c’est le « despotes », le despote, d’une racine sanscrite « patih » qui donne aussi « spouse , époux », en anglais et en français. Aristote distingue l’exercice du pouvoir dans la maison (qui est le fait du despotes et qu’Aristote qualifie de naturel) de l’exercice du pouvoir dans la sphère politique « libre » (et là, le chef contractuellement reconnu comme tel est nommé par lui « basileus »). Ce qu’on appelle un despote, en politique, c’est donc littéralement quelqu’un qui traite ses sujets ou la communauté politique qu’il dirige comme si c’étaient les femmes de sa maison. Usbek est aristotélicien dans sa conception et sa gestion de la division des sphères. Mais la façon dont Montesquieu traite et malmène cette division, et sa critique du despotisme qui caractérise à la fois les rapports au sein de la maison d’Usbek et les monarchies orientales et françaises, mettent à mal cette division. Or, quand on exclut la scène du sérail de l’analyse philosophique et politique des Lettres Persanes, comme on le fait dans les recueils scolaires de morceaux choisis, mais comme on l’a fait aussi longtemps dans le commentaire politique de l’œuvre de Montesquieu, y compris Althusser lui-même dans La Politique et l’Histoire, on fait comme Usbek : on sépare la scène dite domestique de la scène philosophico-politique, on prétend qu’elles sont de nature différente et qu’elles n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Inversement, quand on réintègre la scène du sérail dans le champ de lecture, tout change.

Mais en vérité, et je suis donc, à la faveur de cet exemple, en train de passer sur l’autre versant de ma question initiale, il ne faut pas se contenter de faire valoir ce que les études de genre apportent à l’étude de la littérature. On pourrait, et il faudrait aussi, se demander et reconnaître ce que quelque chose comme la « littérature » peut apporter aux études de genre. Très rapidement, la littéraire que je suis ajoutera donc deux remarques concernant les Lettres Persanes.

Le montage des Lettres est un formidable dispositif critique, que Montesquieu en ait eu conscience ou non. Montesquieu, on s’en rappelle, a inséré des « contes » dans plusieurs des lettres des voyageurs, contes qu’il intitule de manière provocatrice des « histoires » au sens que ce terme avait pris au XVIIIe siècle. Une « histoire » dans le métalangage littéraire du XVIIIe siècle est un récit qui s’annonce comme vrai – ce ne serait donc pas un conte – et qui s’efforce ainsi de paraître « naturel » par opposition au roman idéaliste du siècle précédent, fustigé comme absurde par Montesquieu. En même temps, l’« histoire », le mot « histoire », désigne et déclare bien son appartenance à la littérature, au projet littéraire de son époque. Bref, le titre annonce l’opération littéraire. Ces insertions d’histoires – l’histoire d’Aphéridon et d’Astarté, l’histoire d’Anaïs – relèvent en outre d’une fonction littéraire et rhétorique répertoriée, celle de l’exemplum. Ces « histoires » s’affichent donc à tous égards comme des morceaux et des moments de littérature insérés dans le tissu de la correspondance philosophique. Leur insertion met ainsi en jeu et en abyme l’espèce de confrontation entre philosophie et littérature que Montesquieu a mis en scène dans son « espèce de roman ». Or ces « histoires » sont de véritables fictions féministes. La première raconte l’amour réciproque entre un jeune homme et une jeune femme qui appartiennent tous deux à une minorité religieuse persécutée et se reconnaissent de statut égal ; elle donne une forme et un sens complètement nouveaux au scénario traditionnel de la délivrance d’une jeune femme par son prince charmant; l’autre imagine le renversement des rapports de sexe traditionnels et l’abolition de la structure du sérail. De tels scénarios ne sauraient se produire en Perse, ni en France. Seule la fiction littéraire peut leur donner lieu et place. C’est donc comme si la littérature, c’est-à-dire ce qui s’annonce comme fiction littéraire dans le texte, donnait accès à l’envers de l’histoire contemporaine, et rendait pensable, parce que figurable, sinon l’avenir, en tout cas un autre monde, le monde de l’autre si l’on veut. Et c’est encore une banalité de le dire, mais si les femmes ont été jusqu’à récemment très absentes de la scène de l’Histoire avec un grand « H », elles sont au contraire très présentes, voire dominantes, sur la scène des « histoires », par le biais du roman, du théâtre ou d’autres formes de récits, depuis toujours.

Deuxième remarque : les Lettres Persanes sont construites sur une série d’oppositions qui se recoupent l’une l’autre: sphère publique/sphère domestique ; France/Perse ; Hommes/ Femmes; philosophie/littérature, oppositions que le double système de la correspondance – l’amicale humaniste internationale masculine d’un côté, les lettres du et au sérail de l’autre – permet d’organiser et de maintenir. Mais ces lettres relèvent de la littérature et sont donc destinées à être lues dans leur ensemble; autrement dit, s’il y a une scène clivée de la correspondance, il y a inversement une scène croisée de la destination du texte. Si, dans la fiction des Lettres Persanes, les correspondances et les correspondants demeurent séparés jusqu’au drame final, si les lettres philosophiques sont censées n’être destinées qu’aux hommes, si les lettres despotiques ou érotiques sont « réservées » aux femmes, le texte appelle et engendre nécessairement une lecture globale et croisée. Des femmes comme des hommes ont lu les Lettres Persanes dès leur publication. Femmes comme hommes en sont d’emblée les destinataires ultimes et cela seul suffit à ébranler d’avance le système des oppositions qui structurent la fiction de Montesquieu. Pour le dire autrement, dès lors qu’elle fait l’objet d’un traitement littéraire, l’amicale humaniste masculine s’ouvre malgré qu’elle en ait, sans le savoir et sans qu’elle ait besoin de le savoir, aux femmes. C’est aussi cela que nous racontent les Lettres Persanes, à travers le personnage de Roxane. Et c’est tout cela que j’appelle le dispositif critique des Lettres Persanes. Seule la littérature ou l’art sont capables de produire un tel dispositif. C’est ce que savent les littéraires et qu’elles et ils peuvent tenter de communiquer à leurs autres collègues en études de genre. [...]

Et si la langue littéraire, si la littérature comme exercice, comme jeu et comme savoir[s] de la langue et des langues, était, comme telle, féministe ?

_______________

[1] Je crois qu’il y avait aussi Marie de France mais le Moyen-Âge paraissait si loin que le genre des auteur-e-s en devenait insignifiant, dépassant littéralement l’imagination.

[2] Rimbaud lui reconnaît ainsi à bon droit l’invention mutine du poème hendécasyllabique, qui fait trébucher l’alexandrin et inaugure l’ère de l’impair.

[3] La chose est finalement quand même en cours, grâce à des chercheuses en études de genre justement, puisqu’un projet a été déposé tout récemment en ce sens, et accepté, chez Gallimard, projet qui concerne en fait la totalité de l’histoire littéraire française et pas seulement le xxe siècle. (Voir Femmes et littérature. Une histoire culturelle, sous la direction de Martine Reid. À paraître en 2017).

[4] C’est d’ailleurs le titre d’une des tables rondes plénières qui ont eu lieu dans le cadre du premier Congrès en études de genre en France organisé par l’Institut du Genre CNRS/Universités en septembre 2014 à Lyon. 

 

Anne Emmanuelle Berger, « Genre. Penser “le genre” en langue[s] ou comment faire des études de genre en littéraire ? » dans Emmanuel Bouju (éd.),Fragments théoriques, . Nouveaux éléments de lexique littéraire, Editions nouvelles Cécile Defaut, Nantes, 2015, pp. 178-184 et 192

Hélène Merlin-Kajman

06/03/2021

 

Il est difficile de commenter un texte aussi limpide, et surtout aussi lumineux. Sa subtilité est tranquille : son ethos tranche singulièrement avec la précipitation, la véhémence, et quelque chose comme l’illimitation (un autre mot pour le majoritaire?) qui me semblent caractériser nos discours, ces derniers temps – emphase et emballement. Non que ce texte oublie que le féminisme est un combat ! Mais en s’attachant patiemment à déplier des dispositifs, en mettant en lumière sur quelles limites ils jouent, il fait comprendre comment ces limites tremblent. Les catégories ne tombent jamais juste, ne s’empilent pas bien : il y a toujours eu des régions de nos cultures où elles bougeaient, et nous ne déboulons donc pas dans le présent totalement démunis, sans base arrière – pas besoin de faire « du passé table rase »…

Du coup, j’entends une forme de joie dans ce texte, notamment dans l’hypothèse conclusive : « Et si la langue littéraire, si la littérature comme exercice, comme jeu et comme savoir[s] de la langue et des langues, était, comme telle, féministe ? » Provocatrice, la question suggère de se reporter à la culture - à la culture littéraire du moins - avec une forme de confiance et d’allégresse. Si le logos est le majoritaire, cependant le logos n’est pas le tout de la langue : quelque chose fait fuir le sens, altère son unité, son unicité, et ce quelque chose, particulièrement pris en charge par la littérature, en appelle à l’autre genre.

Le féminisme serait-il un nom possible de la transitionnalité ? Dans mon trajet de chercheuse, la réponse est certainement, dans l’enthousiasme : oui.

Enfin… oui et non...

Dans une « conversation critique », autant dériver à partir de quelques points d’écart. C’est ce que je me propose de faire en les grossissant à dessein.

Comme dix-septiémiste, je ne parviens pas à m’intéresser aux romans de Mme de Villedieu. J’aime passionnément ceux de Mme de La Fayette, sans être convaincue qu’elle les ait écrits seule. Les preuves à cet égard manquent, et, selon toute vraisemblance, les historiens en seront définitivement réduits aux conjectures. On voit bien comment la question peut donner flanc à des controverses « féministes ». Or, c’est la raison même pour laquelle, au fond elle m’indiffère. Je veux dire, elle m’indiffère non seulement comme lectrice « de plaisir » (savoir qui est l’auteur change rarement ma perspective sur un livre, sauf quand ce texte lui-même m’appelle à une sorte de rencontre personnelle), mais encore comme chercheuse.

« La recherche américaine », nous dit Anne Emmanuelle Berger, « a, la première, interrogé [...] le canon littéraire français et proposé nombre d’œuvres de femmes oubliées ou minorisées à la relecture ». Ma réticence est double. D’abord, la mise en avant de la transitionnalité pour définir la littérature entraîne pour moi une conséquence, la conviction qu’une histoire de la littérature est impossible, parce que, prise sous l’angle de l’histoire (celle des historiens, disons), « la » littérature n’existe pas, et que donc, sous l'angle de sa transitionnalité, son historicité si particulière est à repenser. Mais je pourrais presque dire qu'il en va de même selon moi pour « les femmes » - ou que les deux doutes se renforcent l’un l’autre. Dans l’histoire, la balance « je/nous », pour parler comme Elias, varie, donc le rapport « hommes/femmes », et le rapport « hommes/femmes/société » ; mais, tout autant, le dispositif ou l’organisation des discours, comment ils découpent la réalité, comment ils subjectivent. Puisqu'aucun élément n’est découpable ou isolable comme aujourd’hui, et qu’en plus l’objet qui fonde l’enquête n’existe qu’en fonction de la valeur qu’on lui accorde, non comme fait, l’histoire féministe de la littérature ne me paraît pas présenter de garantie épistémologique supérieure à l’histoire que les hommes ont faite jusqu'à il y a peu.

Autrement dit, il me paraît sans pertinence, par rapport à cette littérature (transitionnelle, ou féministe dans le sens de la proposition finale d’Anne Emmanuelle Berger) dont il faut réinventer l’historicité, de vouloir rendre « majeures » des œuvres au prétexte qu'elles ne devraient leur statut d'œuvres mineures qu'au fait d'avoir été écrites par des « femmes ».

Au fond, et c’est mon second doute, je me demande si la croyance dans la minoration des œuvres de femmes écrivaines ne contredit pas l'autre proposition du texte d'Anne Emmanuelle Berger, celle « du renouvellement de la lecture des œuvres canoniques » sous l'effet d'« une perspective dite “de genre” », renouvellement dont son analyse du « dispositif critique » des Lettres persanes nous offre un exemple remarquable. Car cette croyance fait courir le risque de se rendre aveugle à ce qui est pour moi vraiment tellement plus important : « dès lors qu’elle fait l’objet d’un traitement littéraire, l’amicale humaniste masculine s’ouvre malgré qu’elle en ait, sans le savoir et sans qu’elle ait besoin de le savoir, aux femmes. »

Cette ouverture est-elle simplement assignable aux femmes (personnages, auteures, lectrices, etc.) ? Je crois plutôt qu’elle témoigne d’elles, de leur existence, et qu'elle témoigne pour elles. A moins qu’elle ne témoigne pour le féminin, comme signe face au masculin dès que ce masculin se proclame intègre et souverain, inaltéré par la différence des sexes – une différence que je ne parviens pas à rabattre complètement sur la problématique du genre, précisément parce que « différence » suppose deux termes relatifs bien plus que « genre », et que j’ai foi dans cette catégorie de l’ouverture (d’où la transitionnalité) – dans la différence comme le signe, pour chacun, d’une altération.

J’aime profondément ce que dit Anne Emmanuelle Berger des « histoires » : « si les femmes ont été jusqu’à récemment très absentes de la scène de l’Histoire avec un grand « H », elles sont au contraire très présentes, voire dominantes, sur la scène des « histoires », par le biais du roman, du théâtre ou d’autres formes de récits, depuis toujours. » Mais pourquoi « dominantes » ? Autant je suis d’accord sur l’absence des femmes « de la scène de l’Histoire avec un grand “H” », autant la mise en avant de leur « présence », comme l'inverse de cette absence, sur la scène des « histoires » me gêne un peu. Si j’interroge ma gêne, je crois qu’elle tient à ce que je ne pense pas les femmes sans les hommes, et vice-versa. Je vois plutôt que les « histoires » rendent présente l’ouverture évoquée plus haut.

Au fond c’est aussi comme ça que je m’explique mon profond malaise face au mouvement #MeToo. On pourrait dire que voilà une manière majoritaire de débarquer dans l’Histoire. Nécessaire, bénéfique, certes. Mais #MeToo fabrique quelque chose comme un grand récit (pour le dire en termes lyotardiens). Au passage, « #MeToo » est en train de chasser toutes sortes de petits récits – toutes sortes d’« histoires », qui combinent hommes et femmes (hommes et hommes, femmes et femmes…) selon le mode de l’ouverture – et toute ouverture est bancale, éminemment instable, à tout moment elle peut tomber d’un côté ou de l’autre, comme l'a toujours montré, expérimenté, rendu sensible, la littérature comme transitionnalité (et c’est fragile, et mérite veille…).

« #MeToo » s’avance avec la prétention de coordonner toutes ces « histoires » et de les faire converger dans un seul idiome fait de deux « phrases » superposées : une phrase descriptive (disons : « il y a abus sexuel ») qui se veut d'une clarté aveuglante ; et une phrase prescriptive : car «# MeToo » me somme d’examiner si « moi aussi » : donc, de faire passer ma vie entière devant cette sorte de tribunal, alors que la majeure partie des « cas » de ma vie ne peut pas s’exprimer dans ce « grand récit »...

Or, ce qui est troublant, c’est que des œuvres (littéraires ?) sont en train de naître dans le sillage de #MeToo. Qu’est-ce qu’on en fait ?

 

Powered by : www.eponim.com - Graphisme : Thierry Mouraux   - Mentions légales                                                                                         Administration