Séminaire de Patrice Loraux  : 

« La topique de l'époque » (5)

Séance du 9 mai 2016

 

Préambule

Patrice Loraux est philosophe : agrégé, il a été maître de conférences à l’Université Paris 1 et directeur de programme au Collège International de Philosophie de 1989 à 1995. Il a écrit Les Sous-main de Marx (Hachette, 1986) et Le Tempo de la pensée, Seuil, 1993, et de nombreux articles.

Mais Patrice Loraux préfère dispenser un enseignement oral, penser-parler : et il suffit de l’écouter une fois pour comprendre. Il donne un séminaire à l’EHESS depuis 1995 (105, bd Raspail, s. 2). Nous sommes heureux et fiers que Transitions l’accueille cette année. (lire la suite)

H. M.-K.

 

 

 

 

Patrice Loraux : la topique de l'époque (6)

Séance n° 6, 9 mai 2016

 

 
 

 

 

 

 

           

0 : 00 : 00 -> 0 : 09 : 28 Introduction : Traiter les rapports de la philosophie avec l’époque : une formulation plate et intraitable. Le premier des dangers : la présupposition implicite. Marc Richir. Présupposition : construire pour que cela soit ad hoc. Plaisir à voir les choses s’ajuster. Les jouissances de pensée. Le second des dangers : pratiquer la philosophie pour qu’elle se dévore elle-même. Valéry. Renier les présuppositions ? Les jouissances de pensée : des naufrageurs. Vigilance d’Aristote. Les Sophistes. La philosophie : activité éminente, qui s’emploie à supprimer ses conditions. Activité qui déjoue son identification.

0 : 09 : 28 -> 0 : 16 : 49 Fil conducteur de la séance. Première rubrique : épure des rapports de la philosophie avec l’époque. Le problème du rapport. Heidegger. Deuxième rubrique : suspendre la question du rapport. Est-ce praticable ? La phénoménologie. Aristote contre Platon. Le hérisson et le lièvre. Troisième rubrique : se passer de philosophie pour être dans l’époque. Etre dans l’intrinsèque. Avec cette limite : dans l’histoire du faire, l’événement du sophisme où l’effectuation est précédée par la notion de l’exercice a relancé la philosophie. L’exercice invisible dans l’exécution. Le sophisme.

0 : 16 : 49 -> 0 : 22 : 42 L’histoire du faire : le grand faire, pas de tâtonnements. Napoléon. Le faire laborieux. Le faire assisté. Les dialogues de Platon. L’être chez Platon doit être secouru et assisté dans le Politique. Pas de principe d’inertie (à la différence d’Aristote, pas de garantie de l’être). Le faire supplanté. La victoire de la machine contre le joueur de go. Le mot d’ordre contemporain : s’il y a de l’origine, supplantez-la ! La performance : le faire disparaît au profit de l’avoir lieu du faire. Le hareng saur. L’exercice ? L’essai : un faire à moitié. Déployer cette histoire du faire pour la philosophie. Faire de la physique comme faire de la philosophie ? Bourdieu.

0 : 22 : 42 -> 0 : 36 : 31 Quatrième rubrique : recommencer la philosophie dans l’intrinsèque de l’époque en ne la présupposant pas mais en la déduisant d’un accident survenu dans le faire. Le manque de présupposition chez Husserl. Le manque d’exemples. Françoise Dastur sur la bêtise d’Husserl. L’accident : petit à petit, sous l’influence des sophistes, l’exercice s’est émancipé ; l’enivrement du surexercice. Le surexercice : la montée en puissance de la capacité. Tous les dialogues de Platon sont des exercices pour que l’interlocuteur devienne un meilleur dialecticien. L’exercice : pas de résultats sinon la différence entre poïesis et praxis. Pas de conclusion dans l’exercice. Les petits dialogues de Platon. Le Gorgias. Hegel. Exercice : un acte qui n’a pas tout à fait lieu. Racine. L’importance de l’exercice dans la poésie de Valéry. La fin ultime comme hallucination de l’exercice. Hypothèse : cette surpuissance de l’exercice a produit tous les problèmes, toutes les difficultés de la philosophie. C'est à la faveur d’un faux-pas que nous avons à faire à ces problèmes de fin, de commencement, de substance etc.. Le rôle des sophistes dans cet accident. Les coquins. Un recommencement de la philosophie, à la suite de l’accident de l’exercice, qui l’a fait sortir de l’époque. Pascal et le diable.

Un parcours en quatre temps donc.

A. 0 : 36 : 31 -> 0 : 43 : 58 Dans l’intrinsèque de l’époque. Rappel de la définition d’époque : un air de parenté dans le multiple. La question de l’un et du multiple. Parménide dans le grand dire (le grand faire). Le Parménide de Platon : un exercice. Le caractère de ce qui fait l’Un d’une époque. Difficulté de cet Un de l’époque. Les observatoires, les points sensibles d’une époque pour la qualifier à partir du diagnostic de son changement. Les paraphilosophes : miroirs de l’époque. Réponse au manque de sens.

B. 0 : 43 : 58 -> 0 : 51 : 09 L’exercice déraille de l’époque. La contre-performance : retenir l’accomplissement de l’effectuation. Francis Blanche. Le déraillement et la pensée. Le déraillement : une opération mal commencée, mal menée. Des faux-pas qui sont toute la philosophie. Aristote, Hegel, non pas des reflets de l’époque mais des organisations discursives jouissant du suspens de l’exécuter. Le coïtus interruptus de la pensée. Faire de la philosophie : fréquentation des « drôles d’êtres », des « irréalités ». Desanti. Tous les objets de la philosophie sont des imaginaires. Ne pas les définir. Accepter l’existence des irréalités. L’absence de définition de l’Autre chez Lévinas. Hegel, les preuves. Absence de la question de l’exister. Ex-ister : être posé hors de ses choses.

C. 0 : 51 : 09 -> 1 : 00 : 14  S’intéresser au bord de l’époque : l’ultraphilosophe. L’expérience : la butée, le bord, la percée, la brèche. L’archiphilosophe : touche le fond ésotérique des philosophies. L’expérience-limite, le risque maximal : une séduction inouïe. Erotisation du secret. Un ésotérisme chez Aristote ? Aristote, contre l’ivresse, contre la régression à l’infini. La ruse et l’habilité pour ne pas se laisser happer par les attracteurs de philosophie. Vernant : un travail sur les évanescences grecques. Les deux yeux dans La République de Platon.

D. 14. 1 : 00 : 14 -> 1 : 23 : 45 Retour dans l’époque. Après fréquentation de l’obscur ésotérique : savoir qu’il ne faut pas en parler. L’ésotérique de Platon : entre le philosophe et le tyran, « un cheveu ». L’ésotérique de Plotin. L’ésotérique d’Aristote ? Le destrier de la pensée. L’ivresse de la vie philosophante. La surexistence, la vie parmi les inexistences. Descartes. La question de l’existence du tout, de celle de l’un. Toucher le sans-fond du fond. L’ésotérisme de chapelle comme fin de la philosophie. La paraphilosophie : la fiction d’une philosophie pour « tout le monde », sans le risque de l’ésotérisme. Retour dans l’époque sous quatre formes possibles : le poétique, la contemplation, le militant, l’analyste. Les bords de l’époque. Le poète : retour depuis l’au-delà du langage. Jules Romain sur Valéry dans Les Hommes de bonne volonté. L’analyste. Nietzsche. Le militant : retour avec le savoir que l’essentiel réside dans l’opacité de l’organisation et du lien social. Ce qui échappe dans la communauté. Un noyau de nuit infracassable dans les choses importantes. Le contemplatif : retour depuis la « tentation du diable ». Le soupçon qu’on est, non pas en présence de la chose, mais de sa pire corruption. Le malin génie. Corruptio pessimi optima. La corruption : la chose est elle-même et ce qui vient en retirer l’intégrité. Descartes.

1 : 23 : 45 -> 1 : 26 : 40 Au terme de ce parcours : on ne peut pas faire l’économie des moments d’ivresse et d’illusion. La Critique de la Raison pure. Kant. Le gain de la pensée face à la tentation. La fécondité chez Platon comme critère face à l’illusion.

1 : 26 : 40 -> 1 : 27 : 35 Suspendre la question du rapport entre la philosophie et l’époque. Définitions à la Flaubert : « L’époque : il faut être de la sienne »; «La philosophie : toujours bien plus compliqué que ça ».

1 : 27 : 35 -> 1 : 33 : 05 La présupposition : l’ennemi mortel de la philosophie. Derrida. La répétition, les présuppositions chez les Lacaniens. Réduire la présupposition : le mot « être » comme nom de la présupposition qu’on fait toujours. Lévinas. L’empirisme. La présupposition chez Fichte et Descartes : le langage. Le flair chez Socrate. Le nez chez Nietzsche. Flairer les embûches. Aristote : rat de labyrinthe qui dessine le labyrinthe.

1 : 33 : 05 -> 1 : 46 : 57 Les traits qui caractérisent un exercice : la répétition, la régularité, l’endurance, une effectuation à moitié, la présence d’un maître, l’ascèse, l’effacement. Ignace de Loyola. La figuration, la composition du lieu chez les Jésuites. L’exercice : pour fabriquer des « philosophèmes », des objets de métaphysique. Les assouplissements de la philosophie. Les familles d’objets. Le rythme des processus. Sartre et Bergson. Une histoire de la philosophie à partir du rythme. Le rythme du cosmos. Le Nous. Les débuts matériels de la philosophie. Hegel et l’institution. Le statut de réalité de l’institution. Commencer par tous ceux qui localisent la philosophie dans les processus matériels eux-mêmes. « L’homme n’est qu’un robot mais un robot pensant ». Les robots comme supports et performance. Aujourd’hui : des nouveaux présocratiques sans rythme. Les robots. La réalisation du philosopher dans du matériel.

1 : 46 : 57 -> Fin  Programme de la semaine prochaine. Les types de mouvements. Husserl, Platon. Le cours : un mouvement qui suggère que la philosophie est un certain type d’expérience et de vie, avec des hauts et des bas. L’importance des bas. L’homme d’affaire avisé. Le rythme économico-industriel. Les « n’importe qui » remarquables. Monsieur Teste. Renoncer à la philosophie. « On se lasse de tout même de l’amour » : Ménélas et Hélène. Même de la philosophie, il faut consentir à s’en laisser lasser.

Auteurs cités : Aristote, Bergson, Blanche, Bourdieu, Dastur, Derrida, Desanti, Descartes, Fichte, Hegel, Heidegger, Husserl, Kant, Lacan Lévinas, Loyola, Napoléon, Nietzche, Parménide, Platon, Plotin, Richir, Romain Valéry, Vernant.

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