Séminaire de P. Hochart et P. Pachet :
Compte-rendu de la séance du 16 mars 2012           

Les premiers temps

Cette histoire atroce, dont le sujet, horrible, « dans le fond est abominable » [1], a pour cadre  les « premiers temps » (p. 64), soit un moment de dispersion [2] où les hommes se trouvent « jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant » [3], où chacun demeure seul juge de ce qu’il lui est bon de faire [4] et qui conjoint la plus pure tendresse et la cruauté la plus féroce [5], l’une et l’autre strictement rapportées à « l’intérêt présent et sensible » [6], sans guère de prévoyance, sans machination, dissimulation, détour, sans user de voie oblique ni de fourberie [7] ; chacun se livrant sans réserve, à chaque instant, presque sans réflexion, à la seule force quasi irrésistible de l’émotion qui l’anime « comme un  boulet de canon » [8], en sorte qu’on peut y commettre le crime mais que « jamais on y vit un méchant » (cf. contra pp. 60 et 66), qu’on peut y faire le mal (contra p. 60) mais qu’on ne peut s’y endurcir – aussi bien même les gens de Gabaa aux « cœurs de fer » ne sont pas endurcis dans l’inhospitalité [9], mais ils cèdent en masse à la noirceur d’une passion criminelle [10] qui leur fait tramer un complot nocturne [11].

A ce compte, malgré son atrocité, cette histoire est empreinte d’une naïveté touchante, jusque dans la cruauté à laquelle la colère peut pousser sans mesure et qui aussitôt accomplie, se renverse en compassion (p. 72-73) et c’est à ce titre qu’elle peut, malgré tout [12], être traitée dans le « style champêtre et naïf des Idylles de Gessner er que l’entreprise, ou la gageure [13], se trouve consonner avec l’état d’esprit de Rousseau en juin 1762, sans doute traversé d’idées sombres mais dont le « cœur sans fiel », loin de ruminer le complot dont il est la victime [14] et de « s’aigrir par ses malheurs », est plutôt enclin à les oublier sur le champ [15] pour se livrer à l’intérêt présent et sensible d’un amusement qui l’en console en évoquant les premiers temps où s’il est des méchants qui font exception [16] et qui suffoquent les autres, il n’est pas de « débonnaires » (p. 59), de tièdes et où les hommes, tout entiers à leur être actuel [17], sont en proie à des passions qui ne se laissent pas dévoyer ou défléchir [18].

Ce n’est déjà plus l’époque de la bonté sans contraire [19], ce n’est pas encore proprement le temps du partage entre le vice et la vertu [20], dès lors que la vertu requiert, à l’occasion, de vaincre certains de nos penchants et même la nature (cf. n.7), mais c’est le temps de l’alternance entre la vengeance [21] et la pitié, l’une et l’autre n’allant pas sans cruauté, à défaut de la justice [22] et du souci de l’innocent [23] : cruauté des vengeances impitoyables [24], menées furieusement avec une « brutale impétuosité », en « forcenés » (p. 71)  [25] ; cruauté encore de la « pitié injuste » (p. 73) ou d’un peuple « cruel dans sa pitié même » (p.74), tant « c’est une grande cruauté envers les hommes que la pitié pour les méchants » [26] ; cruauté enfin des serments (p. 69, 73) [27] qu’ils font solennellement dans le feu de leur résolution, comme pour conjurer leur versatilité émotionnelle[28] et pour parfaire l’extermination (p. 69) des Benjamites, et qu’ils savent éluder non sans méditer de nouveaux carnages (p. 73) ni sans faire preuve d’une naïve sophistique ou d’une casuistique fertile en  terribles expédients (p. 74), soit en donnant collectivement [29] des vierges dont ils viennent d’exterminer à cette fin les parents, au motif d’un parjure qui ne semblait guère les émouvoir autrement une fois leur fureur retombée avec l’accomplissement de la vengeance (p. 73-74), soit en se faisant ravir, avec leur agrément, ce qui leur est interdit de donner (p. 74-75) [30]. A la vengeance comme à la pitié, ils se livrent sans réserve, « sans justice et sans honte » (p. 66), en sanctifiant leurs passions (p. 73), quitte non pas précisément à regretter ce que la fureur leur à fait commettre, mais à s’émouvoir de ses effets présents [31] et à s’empresser de les réparer (p. 73), fût-ce au prix de nouvelles cruautés [32].

Sans doute ces premiers temps sont-ils marqués par l’invention de l’amour [33] et il n’est pas étonnant que deux couples, l’un anonyme, l’autre nommément qualifié, encadrent le récit qui équilibre le domestique et le politique. Celui d’abord du Lévite et de sa « volage épouse », de son « infidèle » (p. 61) qui malgré le charme de l’union libre [34] et d’un amour censément « partagé » (p. 60), sans obligation ni sanction et sans fruit (p. 61), se noue par une sorte de rapt aimable [35] et ne va pas sans ennui : ainsi s’ennuie-t-elle du Lévite « peut-être parce qu’il ne lui laissait rien à désirer (p. 61) [36] et elle s’enfuit en croyant retrouver l’innocence perdue à jamais (id.), tandis qu’il s’ennuie de son absence que tout lui rappelle (id.) [37] et qu’après s’être donné le change (p. 61-62), pour finir il essaie de l’obtenir des mains de son père qui la lui donne en la retenant (p. 62-63) ; idylle réglée par une alternance d’adoration et d’oppression [38] : il l’adore, voire l’idolâtre en lui prodiguant des hymnes « sur un sistre d’or fait pour chanter les louanges du Très-Haut » (p. 60-61 ; cf. p. 87) et en veillant sur elle comme une mère sur son enfant ramené « de chez la nourrice » (p. 64) ; il l’opprime en la livrant avec brusquerie, pour prévenir tout attendrissement, à la bande des maudits (p.67) [39], sauf ensuite à se répandre en imprécations et en pleurs (id.), puis enfin à être ravagé par son meurtre jusqu’à devenir un bloc de fureur, insensible à quoi que ce soit hormis la vengeance et qui ne vit plus qu’à cette fin (p. 68-69). L’autre couple, celui d’Axa et d’Elmacin, à peine noué et déjà défait par un effort de vertu [40] qui sans la sanctifier, surmonte l’impulsion du penchant (p. 76) et met un terme à l’enchaînement des vengeances [41], telle une version de La Nouvelle Héloïse, perpétuant dans le souvenir « l’accord de l’amour et de l’innocence » [42].

Quant au langage en vigueur dans ces premiers temps, y prédomine la langue des signes [43] qui dit tout sans mot dire, avec une énergie sans réplique [44] et qui parlant aux yeux, ne laisse pas de convaincre et de porter à agir [45]. Exemplaire est, à cet égard – et seulement assortie d’un compte-rendu factuel (p. 69) – la terrible missive du Lévite qui, par une sorte d’imitation exacte [46], met sous les yeux le crime lui-même et sa barbarie pour en rendre comme témoins ses destinataires : ainsi le dépeçage barbare (p. 68) est à l’exacte ressemblance du viol perpétré, sur une victime « à demi-morte » (p. 67 ; cf. p. 76),  par des « barbares »  qui agissent en loups ou en hyènes dévorant des cadavres (id.) [47]. Mais il reste que ce langage clair, exact, explicite, quelque énergique qu’il soit et propre à exciter une fureur aussi immédiate qu’« unanime » (p. 68-69), est celui du besoin [48] et qu’il lui manque l’accent de la passion, seul capable d’émouvoir et d’attendrir [49] à l’image des tribus qui éprouvent de la pitié pour les Benjamites absents (p. 73) et qui pleurent devant le Seigneur, secouées par des cris d’affliction et de plainte (p. 72-73). Aussi Rousseau borne-t-il l’usage de la langue des signes, à titre de préliminaire, pour retenir l’attention [50] et prédisposer les esprits à l’entendre [51]. A ce compte, le régime passionnel des premiers temps se recommande par son énergie rustique et sa droiture naïve, mais il n’atteint pas la profondeur d’émotion et la délicatesse des  époques plus tardives où ces qualités sont trop souvent entachées et dénaturées par la corruption.

P. Hochart

 

 
 

[1] Les Confessions, l. XI, OC, t. I, p.586, cité in Le lévite d’Ephraïm, ed. S.Labrusse, 2010, p. 107. 

[2] Id., p. 60 : « Israël, alors épars dans les champs… » ; cf. Essai sur l’origine des langues, OC, t. V, p. 395 : «Dans les premiers temps les hommes épars sur la face de la terre… » et la note de Rousseau : « J’appelle les premiers temps ceux de la dispersion des hommes, à quelque âge du genre humain qu’on veuille en fixer l’époque » (cité p. 16-17). 

[3] Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, OC, t. III, p. 171.

[4]  Le lévite…, p. 60 : « Dans les jours de liberté où nul ne régnait sur le peuple du Seigneur, il fut un temps de licence où chacun, sans reconnaître ni magistrat ni juge, était seul son propre maître et faisait tout ce qui lui semblait bon ». Dans Le livre des Juges (XIX, 1 et XXI, 25), cette histoire est encadrée  par la formule : « En ces jours-là il n’y avait pas de roi en Israël : chacun faisait ce qui semblait juste à ses yeux ».

[5] Essai sur l’origine des langues, p.396 : « De là les contradictions apparentes qu’on voit entre les pères des nations : tant de naturel et tant d’inhumanité, des mœurs si féroces et des cœurs si tendres, tant d’amour pour leur famille et d’aversion pour leur espèce ». 

[6] Discours sur l’origine…, p. 166-67 : « Voilà comment les hommes purent insensiblement acquérir quelque idée grossière des engagements mutuels, et de l’avantage de les remplir, mais seulement autant que pouvait l’exiger l’intérêt présent et sensible ; car la prévoyance n’était rien pour eux, et loin de s’occuper d’un avenir éloigné, ils ne songeaient pas même au lendemain. S’agissait-il de prendre un cerf, chacun sentait bien qu’il devait pour cela garder fidèlement son poste, mais si un lièvre venait à passer à la portée de l’un d’eux, il ne faut pas douter qu’il ne le poursuivît sans scrupule, et qu’ayant atteint sa proie il ne se souciât fort peu de faire manquer la leur à ses compagnons ».

[7] Rousseau juge de Jean Jaques, Premier Dialogue, OC, t. I, p. 670-71 : « Or si les âmes faibles et tièdes sont plus sujettes aux passions haineuses qui ne sont que des passions secondaires et défléchies, et si les âmes grandes et fortes se tenant dans leur première direction conservent mieux les passions douces et primitives qui naissent directement de l’amour de soi, vous voyez comment d’une plus grande énergie dans les facultés et d’un premier rapport mieux senti dérivent dans les habitants de cet autre monde des passions bien différentes de celles qui déchirent ici bas les malheureux humains. Peut-être n’est-on pas dans ces contées plus vertueux qu’on ne l’est autour de nous, mais on y sait mieux aimer la vertu. Les vrais penchants de la nature étant tous bons, en s’y livrant ils sont bons eux-mêmes : mais la vertu parmi nous oblige souvent à combattre et vaincre la nature, et rarement sont-ils capables de pareils efforts. La longue inhabitude de résister peut même amollir leurs âmes au point de faire le mal par faiblesse, par crainte, par nécessité : ils ne sont exempts ni de fautes ni de vices ; le crime même ne leur est pas étranger […] mais l’expresse volonté de nuire, la haine envenimée, l’envie, la noirceur, la trahison, la fourberie y sont inconnues ; trop souvent on y voit des coupables, jamais on y vit un méchant ».

[8] Id., p. 668-69 : « Les passions y sont comme ici le mobile de toute action, mais plus vives, plus ardentes, ou seulement plus simples et plus pures, elles prennent par cela seul un caractère tout différent. Tous les premiers mouvements de la nature sont bons et droits. Ils tendent le plus directement qu’il est possible à notre conservation et à notre bonheur : mais bientôt manquant de force pour suivre à travers tant de résistance leur première direction, ils se laissent défléchir par mille obstacles qui les détournant du vrai but leur font prendre des routes obliques où l’homme oublie sa première destination. L’erreur du jugement, la force des préjugés aident beaucoup à nous faire prendre ainsi le change ; mais cet effet vient principalement de la faiblesse de l’âme qui, suivant mollement l’impulsion de la nature, se détourne au choc d’un obstacle comme une boule prend l’angle de réflexion ; au lieu que celle qui suit plus vigoureusement sa course ne se détourne point, mais comme un boulet de canon, force l’obstacle ou s’amortit et tombe à sa rencontre » (sur cette image, cf. p. 73-74). 

[9] « Car ils avaient vu le Lévite sur la place et, par un reste de respect pour le plus sacré de tous les droits, n’avaient pas voulu le loger dans leurs maisons pour lui faire violence » (p. 65-66).

[10] Cf. p. 66, variante b. 

[11] « …mais ils avaient comploté de revenir le surprendre au milieu de la nuit […] Les approches du jour qui rechasse les bêtes farouches dans leurs tanières, ayant dispersé ces brigands… » (p. 66-67).

[12] « Ce style champêtre et naïf ne paraissait guère propre à un sujet si atroce » (Confessions, l. XI, p.586, cité p. 107).

[13] « Je tentai toutefois la chose, uniquement pour m’amuser dans ma chaise et sans aucun espoir de succès. […] de sorte qu’outre tout le reste, j’eus encore le mérite de la difficulté vaincue » (ibid.).

[14] « J’avais de quoi ne pas m’ennuyer en route, en me livrant aux réflexions qui se présentaient sur tout ce qui venait de m’arriver, mais ce n’est là ni mon tour d’esprit ni la pente de mon cœur. Il est étonnant avec quelle facilité j’oublie le mal passé, quelque récent qu’il puisse être.[…] C’est à cette heureuse disposition, je le sens, que je dois de n’avoir jamais connu cette humeur rancunière qui fermente dans un cœur vindicatif, par le souvenir continuel des offenses reçues, et qui le tourmente lui-même de tout le mal qu’il voudrait faire à ses ennemis.[…] Il n’y a qu’une seule chose au dessus de leur puissance [celle de ses ennemis], et dont je les défie : c’est en se tourmentant de moi, de me forcer à me tourmenter d’eux » (id., p. 585-86).

[15] « Dès le lendemain de mon départ j’oubliai si parfaitement tout ce qui venait de se passer, et le Parlement, et Mad. de Pompadour, et M. de Choiseul, et Grimm, et d’Alembert, et leurs complots, et leurs complices, que je n’y aurais pas même repensé de tout mon voyage, sans les précautions dont j’étais obligé d’user » (id., p. 586, cité p. 107 ; cf. le portrait de Jean-Jacques par Rousseau dans le Deuxième Dialogue, p. 825).

[16] « Non, jamais rien de pareil ne s’est fait en Israël depuis le jour où nos Pères sortirent d’Egypte jusqu’à ce jour » (p. 59) ; cf. p. 64 : « …mais cette dureté n,’était pas commune ».

[17] Emile, l. II, OC, t. IV, p. 419.

[18] Premier Dialogue, p. 669 et 670.

[19] Mais il faut remarquer que la société commencée et les relations établies entre les hommes, exigeaient entre eux des qualités différentes de celles qu’ils tenaient de leur constitution primitive ; que la moralité commençant à s’introduire dans les actions humaines, et chacun avant les lois étant seul juge et vengeur des offenses qu’il avait reçues, la bonté convenable au pur état de nature n’était plus celle qui convenait à la société naissante » (Discours sur l’origine…, p. 170).

[20] Malgré p.60 et sinon peut-être vers la fin (p. 76-77).

[21] Discours sur l’origine…, p. 170-71 : « C’est ainsi que chacun punissant le mépris qu’on lui avait témoigné d’une manière proportionnée au cas qu’il faisait de lui-même, les vengeances devinrent terribles, et les hommes sanguinaires et cruels. […]…et que c’était à la terreur des vengeances de tenir lieu du frein des lois ».

[22] Il n’est évidement point de justice chez les gens de Gabaa (p.66 : « sans justice et sans honte »), mais pas davantage chez les autres Benjamites (p. 70 : « …crurent que leur valeur les dispensaient d’être justes »), ni non plus dans le reste d’Israël (ibid. : « …se fiant à leur force et à leur grand nombre encore plus qu’à la justice de leur cause ») ; cf. la seule mention de la justice, rien moins que prédominante (p. 75).

[23] L’exhortation liminaire de Rousseau, tirant la leçon de l’histoire, est délibérément anachronique : « Soyez justes sans cruauté, miséricordieux sans faiblesse ; et sachez pardonner au coupable plutôt que de punir l’innocent » (p. 59), car au peuple de ces premiers temps « le sang de ses frères coûtait si peu » (p. 74).

[24] Aussi bien n’est-il point de justice sans pitié : « Ils pourront être intègres et justes, jamais cléments, généreux, pitoyables Je dis qu’ils pourront être justes, si toutefois un homme peut l’être quand il n’est pas miséricordieux » (Emile, l. IV, p. 511-12), quand l’aversion pour le crime n’est pas assortie de pitié pour le criminel.

[25] Ainsi se trouvaient qualifiés les gens de Gabaa (p. 66) ; cf. encore p. 73 : « …et c’est en exauçant vos vœux injustes que le Ciel vous les fait expier ».

[26] Id., p.548, quand cette pitié induit, de manière « débonnaire » (p. 59), à l’impunité du crime (p. 73).

[27] « Pour éluder un serment si cruel… » (p. 73).

[28] Cf. supra n.6.

[29] « …on les donna à autant de Benjamites, comme une proie qu’on venait de ravir pour eux » (p. 74).

[30] Aussi les Benjamites sont-ils qualifiés de « ravisseurs autorisés » (p. 75 ; cf. Juges, XXI,22).

[31] Soit à pleurer incontinent la plaie qu’ils se sont faite, la mutilation d’Israël (p. 72-73) et à être pris de « compassion » pour le « dernier et précieux reste » de Benjamin (p. 73 et 75).

[32] Cruauté de l’extermination de ceux de Jabès et des « noces » imposées aux vierges épargnées (p. 73-74) ; cruauté du rapt des jeunes filles de Silo (p. 75).

[33] Cf. Discours sur l’origine…, p. 169-70 et Essai sue l’origine des langues, p. 405-406 : « Les jeunes filles venaient chercher de l’eau pour le ménage, les jeunes hommes venaient abreuver leurs troupeaux. Là les yeux accoutumés aux mêmes objets dès l’enfance commencèrent d’en voir de plus doux. Le cœur s’émut à ces nouveaux objets, un attrait inconnu le rendit moins sauvage, il sentit le plaisir de n’être pas seul. L’eau devint insensiblement plus nécessaire, le bétail eut soif plus souvent ; on arrivait en hâte et l’on partait à regret. […] Là fut le vrai berceau des peuples, et du pur cristal des fontaines sortirent les premiers feux de l’amour » ; sans préjudice des effets terribles de la jalousie.

[34] «…nous serons unis et libres » (p. 60).

[35] « Le Lévite était jeune et beau ; la jeune fille sourit ; ils s’unirent, puis il l’emmena dans ses montagnes » (id.) ; rapt réparé par après avec l’agrément réticent du père : « et le quatrième jour, vous et ma fille partirez en paix » (p. 62). 

[36] La Nouvelle Héloïse, VI, 8, OC, t. II, p. 693-94 : « Malheur à qui n’a plus rien à désirer ! il perd pour ainsi dire tout ce qu’il possède […] Mon ami je suis trop heureuse, le bonheur m’ennuie ».

[37] Id., I, 25, p. 88 : « Tous les objets que j’aperçois me portent quelque idée de ta présence pour m’avertir que je t’ai perdu ».

[38] Cf. le commentaire de Rousseau sur le sort des vierges de Jabès : « Sexe toujours esclave ou tyran, que l’homme opprime ou qu’il adore, et qu’il ne peut pourtant rendre heureux ni l’être, qu’en le laissant égal à lui » (p. 74).

[39] Aussi se reconnaît-il cause de sa perte, quand il la croit encore vivante (p. 67). 

[40] En écho à la « probité » du père d’Axa qui n’a pas hésité à exposer sa fille au rapt des Benjamites (p. 76).

[41] Elmacin désarmant sa fureur (p. 76-77) et toutes les filles, « entraînées par l’exemple d’Axa, » renonçant à leurs premières amours (p. 77), tant alors, si l’on n’est pas « plus vertueux qu’on ne l’est autour de nous, on y sait mieux aimer la vertu » (cf. supra n.7). 

[42] « Le seul souvenir de nos jeunes ans que l’innocence et l‘amour ont embelli, me suffit » (p. 76) ; cf. La Nouvelle Héloïse, I, 9, p. 51 : « …l’accord de l’amour et de l’innocence me semble être le paradis sur la terre ».

[43] Ainsi du sourire de la « fille de Juda » (p. 60), du don de la tourterelle et du tressaillement de la donataire (p.61), de son aspect attendri sous le regard interrogatif de son père (p. 62), de son attitude « la face contre terre et les bras étendus sur le seuil (p.67 ; cf. la traduction de Sacy, p. 94), du transport muet d’Elmacin et du coup d’œil furtif que lui jette Axa (p. 76), ou encore des yeux de son père qui « ont plus dit que sa bouche » (id.).

[44] Eùmile, l. IV, p. 645 : « En négligeant la langue des signes qui parle à l’imagination l’on a perdu le plus énergique des langages » ; Essai sur l’origine des langues, p.376 : « Mais le langage le plus énergique est celui où le signe a tout dit avant qu’on parle ».

[45] Id., p. 376-77 cité p. 109-111.

[46] Id., p. 378 : « Concluons que les signes visibles rendent l’imitation plus exacte ».

[47] Sur cette « forcènerie » nécrophile qui « aime un corps sans son consentement, et sans son désir », cf. Montaigne, III, 5, ed. Tournon, p. 158.

[48] Essai sur l’origine des langues, p. 378 : « Ceci me fait penser que si nous n’avions jamais eu que des besoins physiques, nous aurions fort bien pu ne parler jamais et nous entendre parfaitement par la seule langue des gestes » ; « Il est donc à croire que les besoins dictèrent les premiers gestes et que les passions arrachèrent les premières voix » (id., p. 380, cité p.32 ; cf. p.407-408, sur « la formation des langues du Nord »).

[49] « Mais lorsqu’il est question d’émouvoir le cœur et d’enflammer les passions, c’est toute autre chose. L’impression successive du discours, qui frappe à coups redoublés, vous donne bien une autre émotion que la présence de l’objet même où d’un coup d’œil vous avez tout vu. […] La seule pantomime sans discours vous laissera presque tranquille ; le discours sans geste vous arrachera des pleurs. Les passions ont leurs gestes, mais elles ont aussi leurs accents, et ces accents qui nous font tressaillir, ces accents auxquels on ne peut dérober son organe pénètrent par lui jusqu’au fond du cœur, y portent malgré nous les mouvements qui les arrachent, et nous font sentir ce que nous entendons » (id., p. 377-78) ; « …mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste la nature dicte des accents, des cris, des plaintes… » (id., p. 380 cité p. 36, n.49).

[50] Id., p. 376 : « J’ai remarqué que les Italiens et les Provençaux, chez qui pour l’ordinaire le geste précède le discours, trouvent ainsi le moyen de se faire mieux écouter et même avec plus de plaisir ».

[51] Ainsi en préliminaire de la Profession de foi du vicaire savoyard : « On eût dit que la nature étalait à nos yeux toute sa magnificence pour en offrir le texte à nos entretiens. Ce fut là qu’après avoir quelque temps contemplé ces objets en silence, l’homme de paix me parla ainsi » (Emile, l. IV, p. 565 ; ou encore en préliminaire des instructions sur l’amour à donner au jeune homme : « Je commencerai par émouvoir son imagination. Je choisirai le temps, le lieu, les objets les plus favorables à l’impression que je veux faire.[…] Je mettrai dans mes yeux , dans mon accent, dans mon geste l’enthousiasme et l’ardeur que je lui veux inspirer. Alors je lui parlerai et il m’écoutera, je m’attendrirai et il sera ému » (id., p. 643-458).

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