Inédit

Santiago H. Amigorena,  Les Enfants Rouges

 

 

 

 

 

 

Les Enfants Rouges

 

 

Santiago H. Amigorena 

04/01/2014 


 
 

Les Enfants Rouges est un film qui a été produit sans aides financières publiques et sans argent privé. La préparation, le tournage et la postproduction se sont faits sans circulation d’argent.

Les Enfants Rouges s’est fait seulement grâce à la foi d’un certain nombre de personnes, devant et derrière la caméra, dans le fait qu’il faut, aujourd’hui, participer aussi à des projets cinématographiques situés en dehors de l’industrie cinématographique.

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Les Enfants Rouges est né du désir de savoir si, en travaillant avec d’autres, il m’était possible de sentir ce que je ressens, seul, lorsque j’écris. Mais le but n’était pas de plier mes collaborateurs à mes caprices – fussent-ils des caprices amicaux.

Le but était, sans scénario préalable, de faire naître des images et des sons avec eux.

Le but était de ne pas être guidé par des idées mortes, échues dans un passé lointain sur le papier, mais par des envies vivantes : partagées.

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Au tout début, j’avais envie de tourner un seul plan : celui de la terrasse d’un café. Une voix off, écrite après le tournage, inventerait une fiction sur les personnages qui s’y trouvent assis.

Puis, à partir de ce premier plan, nous avons suivi nos désirs et notre instinct ensemble.

Marco Graziaplena, le chef opérateur, a parfois tourné des plans seul. Chaque conversation avec lui, avec Nicolas Joly, l’ingénieur du son, avec Sarah Turoche, la monteuse, et avec chacun des comédiens, a apporté des modifications profondes dans le projet que nous ne cessions jamais, en tournant, en discutant, de redéfinir, de réinventer.

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Une question assez simple, après vingt-cinq ans passés à faire du cinéma, avait commencé de me hanter : de quoi dépend l’indépendance ?

Il serait facile d’énumérer les choses qui nous contraignent, au cinéma, à raconter des histoires d’une certaine manière, voire à raconter un certain type d’histoire. Mais de quoi dépend-elle réellement cette indépendance dont se vantent aussi bien des réalisateurs hollywoodiens qui font des films de plus en plus chers que des réalisateurs français qui en font des plus en plus démunis ?

Et ce de quoi l’indépendance dépend, lorsqu’on réussit à l’abolir, quelle nouvelle forme de dépendance créé-t-il ? Y a-t-il une autre indépendance que celle qu’on cherche à atteindre chaque jour en créant des nouvelles formes à travers des nouveaux modes de production ?

Est-ce par hasard que les films qui « représentent » aujourd’hui le cinéma le plus indépendant, Polisse ou La vie d’Adèle, sont aussi les films les plus consensuels ?

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J’aurais pu me vanter du fait que Les Enfants Rouges, comme tant d’autres films, n’ait finalement coûté que mille, dix mille ou cinquante mille euros.

Mais, comme tous les films, Les Enfants Rouges a coûté beaucoup plus : il a coûté deux ans de travail. Il a coûté deux ans d’un travail d’autant plus précieux qu’il n’a pu être, pendant qu’il était accompli, rémunéré.

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Les Enfants Rouges est finalement devenu un documentaire sur ses acteurs : Jonathan Borgel, Garance Mazureck, David Kajman. Et il peut sembler vain de livrer des secrets de fabrication pour excuser ses faiblesses, ou pour exalter ses qualités.

Mais il est des projets qui dépassent leur produit. S’il demeure sur l’écran de véritables traces de l’aventure que nous avons vécue ensemble, si on y voit ce qu’une forme d’amitié peut contenir de politique (dans la meilleure des acceptions de ce terme), si un peu de cet amour singulier qu’on partage lorsqu’on travaille réellement ensemble y est présent, alors – alors tout n’est sans doute pas perdu.