Saynète n° 129

 

[L’aumônier général] dit une messe de campagne pour trois bataillons à la fois, bénissant deux d’entre eux pour la campagne de Serbie, l’autre pour celle de Russie.

Il prononça à cette occasion une harangue fort enthousiaste et on comprit qu’il puisait ses sujets dans les almanachs militaires. Repensant à cette touchante homélie dans le train roulant vers Moson, Chvéïk qui voyageait avec Vanek dans un bureau improvisé, dit au sergent-major :

– Ce sera chouette, comme nous l’a dit l’aumônier, lorsque dans le jour finissant, le soleil avec ses rayons d’or se couchera derrière les montagnes et que, comme il nous l’a raconté, on entendra sur le champ de bataille les derniers soupirs des mourants, le râle des chevaux écroulé, les gémissements des blessés et les plaintes des populations dans les chaumières en feu. Moi, j’adore ça, quand les gens déconnent à la puissance x.

Vanek hocha la tête :

– C’était une histoire fichtrement émouvante.

– C’était très beau et très instructif, reprit Chvéïk, moi, ça m’est resté dans la tête et quand je reviendrai de la guerre, je raconterai cette histoire à l’auberge « Au Calice ». En nous racontant cette histoire, monsieur l’aumônier, il écartait drôlement les guibolles, si bien que j’avais peur qu’il glisse, qu’il tombe sur l’autel de campagne et qu’il se casse le coco sur l’ostensoir. Il nous a servi un bien bel épisode de l’histoire de nos armées du temps du maréchal Radetzky. A l’entendre décrire comment le rose du couchant se confondait avec les flammes des granges qui brûlaient sur le champ de bataille, on aurait cru qu’il y était.

 

Jaroslav Hasek, Dernières aventures du brave soldat Chvéïk [1921], Gallimard 1980, p. 8.

 

05/03/2022 

 

 

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