Saynète n° 31

 

 

 

La Fourmi et la Cigale


Une fourmi fait l’ascension

D’une herbe flexible

Elle ne se rend pas compte

De la difficulté de son entreprise

Elle s’obstine la pauvrette

Dans son dessein délirant

Pour elle c’est un Everest

Pour elle c’est un Mont Blanc

Ce qui devait arriver arrive

Elle choit patatratement.

Une cigale la reçoit

Dans ses bras bien gentiment

« Eh, dit-elle point n’est la saison

Des sports alpinistes

(Vous ne vous êtes pas fait mal j’espère ?)

Et maintenant dansons dansons

Une bourrée ou la matchiche ».



R. Queneau

 
 


V. Huguenin

09/01/2016



Au départ, il ne s’agissait que de monter une séquence sur Les Fables de La Fontaine, au programme de Français de la classe de Sixième. Parce que mes élèves me l’ont demandé (parce qu’ils la  connaissaient et que cette familiarité avec le texte les rassurait), je suis partie de la célèbre fable de La Fontaine « La Cigale et la Fourmi ». Cependant, (j’ai du mal à l’avouer mais Queneau m’y aide alors je me lance), « La Cigale et la Fourmi », cette fable canonique qui dans tous les manuels scolaires fait autorité, cette fable que j’ai apprise par cœur étant enfant et que je n’ai jamais oubliée, et bien cette fable, je ne la trouve pas belle. Je n’aime pas son message. Je ne l’aime pas, voilà. Je voudrais sauver la Cigale et lui donner à manger pour l’hiver trop vite venu. Je voudrais rabrouer la Fourmi et la forcer à partager ses graines car j’ai de la compassion à l’égard de celle qui, pour s’être oubliée à chanter, ne doit pas pour autant mourir de faim. Et je ne décolérais pas en bâtissant la première séquence de poésie de ma carrière d’enseignante, marmonnant contre cette fourmi laborieuse mais égoïste.

C’est alors que j’ai découvert la contrefable de Queneau. La bienveillance de la Cigale contrariée chez la Fontaine qui reçoit « bien gentiment » dans ses bras la Fourmi peu prêteuse devenue faible et maladroite chez Queneau, m’a laissée stupide un moment. Et le dénouement de la fable m’émeut plus encore. Car à ma colère persistante et impuissante face à cette rencontre ratée entre une Cigale demandeuse et une Fourmi hostile, Queneau oppose un geste de douceur, une parole inquiète et enfin, une invitation à danser, à initier un mouvement, n’importe quel mouvement à deux ou plus. Juste un pas de danse pour nous entendre et nous réconcilier. Et dans ce pas de danse, la civilité déployée.

N'en n'a-t-on pas déjà rêvé ?

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