Saynète n° 132

 

Les misères commençaient alors dans Paris à se faire sentir, et les pauvres pâtissaient déjà beaucoup. Toutes les denrées enchérissaient ; et quoique ce fût peu souffrir pour une ville assiégée, cette disette ne laissait pas d’incommoder beaucoup, et surtout les pauvres. Les eaux étaient fort débordées cette année, et Paris était devenue semblable à la ville de Venise. La Seine le baignait entièrement : on allait par bateaux dans les rues ; mais, bien loin d’en recevoir de l’embellissement, ses habitants en souffraient de grands incommodités ; et les dames, pour faire voir leur beauté, ne se servaient nullement de ces gondoles si renommées que l’on admire sur les canaux vénitiens. La nature a mis un bel ordre en toutes choses : ce qui sert d’ornement en certains lieux serait une grande laideur en d’autres. Ainsi cette belle rivière, la richesse et la beauté de Paris, n’étant plus renfermée dans ses bornes ordinaires, ruinait par cette trop grande abondance de ses eaux, la ville qu’elle baignait plus qu’à son ordinaire, et lui ôtait les avantages qu’elle lui donne quand elle se contente de couler doucement dans son lit naturel.

Madame de Motteville, Chronique de la Fronde [1669], Paris, Mercure de France, 2003

 

07/05/2022 

 

 

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