Sablier n° 10.11

 

Ce qui nous arrive  n°11
 

Augustin Leroy

08/05/2021

 

  Un cri plaintif m’est arrivé dans l’oreille, aigu.

  Un petit chaton de deux semaines a été chassé par sa mère de dessous la bâche noire ensoleillée qui couvrait un tas de bûches aménagé en niche.

  Quatre ou cinq y tétaient, roupillaient, mais pas lui, rejeté au sol à chaque tentative de le remettre auprès des siens.

 Pourquoi la chatte a-t-elle décidé de se débarrasser d’un de ses petits ? En gros, la raison qui inclut toutes les autres, c’est que la nature en a décidé ainsi. Le petit n’est pas viable et intervenir, en répondant à son cri plaintif par autre chose que de l’attendrissement passager, serait contre-nature et produirait nécessairement un monstre.

  « Il nourrira trois petits furets ». C’est vrai, ou une buse, l’humus, le cycle éternel, le « truc » magique de la nature.

  Pas d’accord.

  Un cri plaintif m’est arrivé dans l’oreille, aigu, quand le petit chat est tombé de la bâche du tas de bois au soleil, parce que sa mère fut suffisamment bonne pour n’en plus vouloir. Quand nous avons, avec mon amie, décidé de l’emmener, j’ai vu la mère, qui feulait du fond du tas de bois, en sortir. J’ai imaginé qu’elle était triste.

« Tous ceux qui aiment les chats, les chiens, sont des cons » écrivent Deleuze et Guattari dans Mille Plateaux. Ce n’est pas si simple, je crois.

Après la perte de mon grand-père il y a plus de dix ans, j’ai offert un chat à ma grand-mère, qui lui a donné pendant un temps de l’eau dans un de ces bols anciens où était inscrit le nom de leur propriétaire. Ce bol, qui n’avait plus d’usage, en a retrouvé un, et ma grand-mère a trouvé à qui parler.

« Mais le chat n’y entend rien et ne se préoccupe que d’avoir le ventre plein ! », me jetterait un hypothétique deleuzien effaré.

Et pourquoi ? Pourquoi son chat n’y entendrait rien ? Pourquoi ne répondrais-je pas au cri plaintif aigu d’un chaton promis à une mort certaine, devant le tas de bûches et la bâche noire ? Les furets se débrouilleront et il faudra que nous bricolions une chaleur de mère-chatte dans un deux-pièces : langue et mamelles de substitution, grondements rauques - je me prends le matin à feuler quand elle me griffe, je dis « elle », parce c’est une chatonne à laquelle j’aimerais lire des histoires de dragonnes.

J’ai parfois envie de la saisir par la peau du cou avec mes dents d’homme et il m’est arrivé, au réveil, de m’emberlificoter dans les longues boucles de mon amie, à petits coups de pattes.

C’est certain, je ne lui apprendrai pas à chasser la souris, à l’éventrer et à lui manger le foie.

C’est certain, la loi darwinienne réclamerait qu’on ne réponde pas au cri plaintif aigu d’un chaton que sa mère a résolu d’abandonner à la mort devant le tas de bois où il fait chaud.

C’est certain, je me fous de la loi darwinienne et je suppose que répondre au cri plaintif d’un chaton devenu chatonne est une possibilité dans la nature, dont je fais partie. Il faut bien que la fréquence de cette plainte me touche quelque part, quoique je ne parle pas chat. D’ailleurs, quand je feule, la bestiole me regarde avec circonspection, un peu dubitative, mais me regarde quand même et arrête de me croquer le doigt. Quand je lui fais la lecture, elle me regarde aussi.

Il faut lui apprendre à faire ses besoins, et je me débrouille mal. Marie lui parle de sa voix chaude et musicale, tout en frottant son bas-ventre. Le résultat ne se fait pas attendre.

C’est un peu la nature, aussi, cette musique, de même que c’est un peu la nature aussi, la vibration dans nos nerfs qui nous a poussé à répondre au cri plaintif aigu d’un chaton perdu au soleil devant un tas de bois couvert par une bâche chaude.

Non, je ne vais pas pour autant ouvrir un chenil ou, pire, un cabinet d’analyse pour chats abandonnés par leur mère.

Oui, je devrais certainement retourner chez la psy.

Mais un cri plaintif m’est arrivé dans l’oreille, aigu, et depuis, une chatonne de deux semaines en a quatre et gambade dans un deux-pièces. Si elle est un monstre, j’en serai un avec elle, avec elles.

 

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