Sablier n° 8.2

 

Vie de famille n°8.2
 

Guido Furci

10/05/2020

 

 Après avoir détesté ceux qui ont posté sur les réseaux sociaux, avec autant de frénésie que d’enthousiasme, des photos de dauphins qui profitent du Bosphore, de biches qui traversent un passage piéton et de canetons qui se baladent dans un centre-ville désert, je me découvre aussi heureux que mes enfants d’apprendre qu’une famille de renards a été aperçue au Père Lachaise. J’aime l’idée qu’ils habitent à côté de chez nous. Sans rien connaître aux renards, je partage l’avis des associations qui, depuis la semaine dernière, ont commencé à militer contre leur déplacement vers la Petite ceinture ou le bois de Vincennes, sous le prétexte de les protéger de la circulation, une fois le déconfinement lancé. Je me dis que ces renards doivent avoir l’habitude d’esquiver les voitures. Leur présence n’a suscité d’intérêt que très récemment, mais ils avaient dû décider de s’installer dans l’enceinte du cimetière bien avant que le monde se mette en quarantaine.

Pendant que les filles apprennent le terme « tanière » et s’entraînent à le prononcer, je réalise que sans elles j’aurais pu plonger dans un état de semi-léthargie. D’une certaine manière je l’ai fait : le lit, la couverture, les grincements du parquet, la nostalgie de la lumière. Mais leurs petits rituels, leurs questions et leurs livres (quasiment les seuls dont j’ai envie en ce moment) m’ont permis de mettre un peu d’ordre là où toute tentative allant dans ce sens semblait irrémédiablement vouée à l’échec.

Emi et Clara aiment les sirènes, la reine des neiges, les renards bien sûr, et Pinocchio. Dans l’une des adaptations cinématographiques de Pinocchio – celle de Comencini, si je me souviens bien – Geppetto ne veut pas vraiment sortir de la baleine. Avec d’autres, il semble avoir trouvé dans son ventre un espace de liberté que les pauvres gens comme lui n’ont presque jamais « dehors ». J’hésite : d’une part il y a la peur d’être englouti, de l’autre l’envie de recommencer à nager – en combinaison, ça va sans dire !

Les grains (graines ?) de poussière dansent en apesanteur dans un rayon de soleil qui traverse la pièce.

« Papa, tu peux nous faire un nouveau mot ? »

« Plancton. »

 

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