Sablier n° 3.12.

 

Etrangetés et solitudes n°12
 


Charlotte Taïeb

27/04/2020

 

Plus les jours passent, plus la tension monte.

Théo m'inquiète.. Notre équilibre familial est précaire....

Il faut faire des efforts en permanence. Se contenir. Se retenir. Tenir.

Je pense au conte russe de la moufle.

Tous les animaux y entrent les uns après les autres pour se protéger du froid et, à la fin, elle explose. Plus de protection pour personne.

Notre foyer ressemble à cela...une petite moufle prête à exploser....

Yann et moi n'avons plus une seconde pour nous, le monde des adultes n’existe plus.

Il faut jouer, jouer, jouer, laver, cuisiner, ranger, rendre la justice, éduquer, enseigner, nourrir, divertir, soigner, calmer, sermonner, débattre, assister, en évitant la casse : les claques, les cris, les bobos, les bosses, les verres qui tombent, les ballons lancés au hasard, l'eau du bain qui déborde, l'inondation de notre petite arche de Noé. La colère...les miettes par terre.

Comme tout le monde, je me dis que c'est une épreuve, qu'il faut savoir la prendre, trouver en soi et dans tout l' amour qu’il y a, malgré tout, dans cette petite prison les ressources pour grandir et continuer de vivre.

Car nous sommes enfermés mais bien vivants, n’est-ce pas ?

Enchaînés, mais en bonne santé ?

En cage, mais nous ne manquons de rien. Nous mangeons à notre faim. Les bombes ne pleuvent pas sur nos têtes. De quoi se plaint-on ?

D'avoir peur pour nos proches ? De souffrir de ne plus voir ceux que nous aimons ? De manquer d'air dans nos petits appartements ?

Je lis les conseils de certains m’incitant à écrire un livre, écouter de la musique, créer, cuisiner, dormir, bronzer. Luxe de ceux qui ont du temps pour eux, de l'espace. Tout ce que je n'ai pas.

Mais j'ai d'autres richesses qui tiennent le désespoir loin de moi.

Comme un pauvre qui compte ses sous, le soir je compte mes trésors.

Les caresses de Victor sur mon bras, et ses yeux qui se ferment lorsqu'il s’endort enfin. La beauté d’un film vu en pleine nuit pour voler un moment pour moi à ces frénétiques vingt-quatre heures qui ne cessent de s’entraîner les unes les autres. L'aisselle de mon homme qui frotte mon épaule quand on fait l'amour. Le sourire de Théo qui gagne aux dames pour la première fois contre moi. Le message d'un ami qui m'émeut aux larmes. La prière que nous allons dire, mon innombrable famille et moi, ce soir, sur zoom, pour célébrer Pessah et honorer ma grand-mère de 96 ans.

5 avril

 

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