Sablier

 

 
Ce que je vois et entends par la fenêtre... n°3
 
 

Hélène Merlin Kajman

23/03/2020

 

Par mes fenêtres côté rue, il n’y a pas grand chose de changé.

A gauche, l’immeuble en vis-à-vis n’est pas bien haut, alors, je vois l’enfilade des toits parisiens avec leur zinc gris qui donne à Paris cette lumière que je connais depuis toujours et que j’aime tant, et j’ai le temps de me demander si c’est la rue Notre-Dame-de-Nazareth, parallèle à la mienne, qui crée ce rythme entre deux rangées de toits, ou si ce sont les cours intérieures aux immeubles. Je vois les cheminées irrégulières surmontées de leurs rangées de cylindres couleur brique avec leurs petits chapeaux métalliques, quelques antennes de télé, et de grands velux sous les toits du premier rang qui, l’été, parfois, quand quelqu’un les fait bouger, me renvoient brutalement une flèche de lumière éblouissante…

J Par ma fenêtre de droite, l’immeuble en face est plus haut, je vois quand même un peu de ciel, un balcon court le long de l’avant-dernier étage en dessous de celui des chambres mansardées.

Non, par mes fenêtres, il n’y a pas grand chose de changé.

Ce sont les sons qui ont changé. Une voiture, un vélomoteur, passent de temps en temps rue Meslay ; et, surtout, très distinctement, une sirène d’ambulance. Plus personne ne s’interpelle en bas. Je ne suis pas sortie depuis lundi parce que je suis totalement confinée, mais j’imagine facilement toutes les boutiques fermées, les boutiques de chaussures qui accueillent surtout des clients venus d’Afrique noire, comme me l’expliquait un jour un taxi me racontant qu’il lui arrivait de prendre à l’aéroport des voyageurs fraichement arrivés du continent africain pour les amener directement ici. Les sons des conversations sonores, des altercations fulgurantes qui se terminent toujours bien malgré l’inquiétude qu’elles causent, se sont tus. La place de la République ne bruit plus. L’atmosphère ressemble aux dimanches de mon enfance, à l’époque où Paris, ce jour-là, était ville morte et où, comme le chantait Charles Trenet, « le dimanche les enfants s’ennuient »…

Un klaxon surprend l’air. Un geste d’inattention sans doute : sinon à quoi servirait-il ?

Mardi, premier jour du confinement, à 16h, soudain une sorte de fanfare s’est fait entendre. Vasistas et fenêtres se sont ouverts, les visages se sont penchés et ont interrogé la rue, et je faisais de même. De la fenêtre en face de chez moi où, très souvent, le store à moitié baissé comme pour cacher son buste un jeune homme se promène tout nu (a-t-il conscience qu’on le voit ?), sortait une musique à plein régime, une musique qui n’est pas de mon goût, et qui a duré jusqu’au soir. Partagée entre le fou rire et la consternation, j’ai compris que du confinement allaient surgir, où qu’on soit, de minuscules petits cauchemars, en plus des grands.

Je vais bientôt ouvrir ma fenêtre avant que le jour ne décline pour sentir l’air, le soleil est là, c’est toujours ça de pris, j’essaie de chasser de ma tête toutes les images terribles que cache cette paix descendue sur Paris et partout.

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