Exergue n° 13

 

« S’il existe un quelconque trait commun entre tous les arts dans tous les endroits où on les rencontre (à Bali, on fait des statues à partir de pièces de monnaie, en Australie des dessins dans la boue) qui justifie de les englober sous une seule rubrique conçue en Occident, ce n’est pas qu’ils font appel à quelque sens universel de la beauté. Il se peut que ce sens existe, il se peut qu’il n’existe pas ; mais s’il existe, il ne nous permet pas, d’après mon expérience, de répondre aux arts exotiques autrement qu’avec un sentimentalisme ethnocentrique, en l’absence d’une connaissance de ce que veulent dire ces arts ou d’une compréhension de la culture dont ils viennent. ([...] la plupart des gens, j’en suis convaincu, voient la sculpture africaine comme du Picasso de brousse et entendent la musique javanaise comme du Debussy bruyant) »

Clifford Geertz, « L’art en tant que système culturel », dans Savoir local, savoir global. Les lieux du savoir (1983), trad. Denise Paulme (revue par Lise Forment), PUF, 1986.

 
 


 Lise Forment

11/12/2011

Grande est la tentation de vouloir fonder la transmission des « grands textes » sur « quelque sens universel de la beauté ». Mais ici comme ailleurs, le relativisme a balayé le « sentimentalisme ethnocentrique » accroché à une certaine défense des humanités. On ne s’en plaindra pas. Sommes-nous pour autant condamnés à rester étrangers, et comme sourds et aveugles, à certaines œuvres ; et, sans le renfort des contextualisations savantes, voués à ne produire que des jugements naïfs, ou pire, intolérants ?

Voir la « sculpture africaine comme du Picasso de brousse », entendre « la musique javanaise comme du Debussy bruyant » sont assurément des contresens réducteurs. Mais comme Bataille et James Siegel l’ont suggéré avec humour à propos du dieu aztèque Quetzalcoatl et des Pieds Nickelés, la « communication » (au sens de conduction) a d’autres effets que la compréhension, l’anachronisme d’autres vertus que la contextualisation. Le contresens – même sentimental, surtout sentimental – permet une « reconnaissance mêlée d’amour », le « sentiment d’une parenté retrouvée » (Gide).

Nulle proposition là d’exclure les savoirs de l’enseignement ! Mais le sens d’un texte littéraire ou d’une œuvre d’art ne doit pas être dressé contre nos sens.

 

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