Exergue n° 40

 

 

« Les passeurs sont étranges : ils ont besoin de frontières, à seule fin de les contester. Ils n’ont pas envie de se retrouver seuls avec leurs « trésors » et, en même temps, ils ne s’occupent pas trop de ceux à qui ils « passent » quelque chose. Et comme les « sentiments sont toujours réciproques », on ne s’occupe pas beaucoup d’eux non plus, on ne leur « passe » rien, on leur fait volontiers les poches. »

Serge Daney, Devant les recrudescences des vols de sacs à mains.
Cinéma, télévision, information, Lyon, Aléas, 1991, p. 107.

 
 


Brice Tabeling

16/06/2012

 

– C’est un peu facile, dit l’exergue. « Daney, le passeur » ? Tu ne t’es pas foulé.

– Tu n’es pas content ?

– Ravi. Mais ça fait un peu épitaphe, non ? Une formule évidente et sans bords. Et puis, le message aux héritiers : passons le passage. Cela me gonfle d’importance. Si j’osais : une grandeur presque publicitaire.

– Tu oublies les lignes de fuite. Que fais-tu de cette « étrangeté » du passeur et, surtout, de son indifférence pour ceux à qui il passe ? Et puis, Daney commente le terme : la formule n’est pas abandonnée à sa rondeur. Au contraire : le passage est ici tout en difficultés, en frontières, contestations et grincements ironiques. Le passage est un espace d’âpreté critique. De là cette figure un peu revêche de celui qui le porte. Le passeur, par l’intermédiaire de ses « trésors », transmet avant tout des singularités, un jeu de résistances et d’envies. Nul magot mollement hérité donc mais une invitation au vol. Un testament sans héritiers désignés, fondamentalement incomplet et lacunaire.

– C’est vache pour moi ! 

 

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