Exergue n° 66

 

 

« Dans une vieille chanson enfantine apparaît la commère Rehlen. Mais comme "commère" ne me disait rien, cette créature devint pour moi un esprit : la commerelle. Mes méprises défiguraient mon univers. Mais de manière bénéfique : elles me montraient les voies qui conduisaient à sa nature intime. Toute occasion leur était bonne. […] Lorsque je défigurais ainsi et le mot et moi-même, je ne faisais que ce que j’avais à faire pour prendre pied dans la vie »

Walter Benjamin, Sens unique précédé de Enfance berlinoise vers mil neuf cent
trad. J. Lacoste, Paris, Les Lettres Nouvelles / Maurice Nadeau, 2007, p. 67. 

 
 



Virginie Huguenin

09/02/2013

Ecoutez la ritournelle qui tourne, qui tourne et qui énerve : c’est celle qui encercle l’enfant qui ne la comprend pas. Soudain, il s’en saisit et, dans un sourire, la tord et la transforme, la faisant entrer dans son univers à lui. Il « défigure » le monde pour construire le sien et s’arrimer à la vie.

Et voici qu’apparaît la commerelle, petit esprit espiègle qui trotte entre l’absence de sens et le sens commun. Elle figure un jeu mimétique, une activité d’identification primitive et vitale en lutte contre le verbiage confus de la folie qui guette.

C’est ainsi que la vilaine bavarde cède à la créature sympathique et familière, dont les sonorités du nom, « commerelle », traduction du plus éloquent encore « Mummerehlen » allemand, invoquent au passage la douceur réconfortante d’une scène originelle : celle de la mère souriant au babil de l’enfant.