_

Exergue n° 149

 

 

 

Je sais parce que je le dis
Que mes désirs ont raison
Je ne veux pas que nous passions
À la boue
Je veux que le soleil agisse
Sur nos douleurs qu’il nous anime
Vertigineusement
Je veux que nos mains et nos yeux
Reviennent de l’horreur ouvertes pures

Je sais parce que je le dis
Que ma colère a raison
Le ciel a été foulé la chair de l’homme
A été mise en pièces
Glacée soumise dispersée
Je veux qu’on lui rende justice
Une justice sans pitié
Et que l’on frappe en plein visage les bourreaux
Les maîtres sans racines parmi nous

Je sais parce que je le dis
Que mon désespoir a tort
Il y a partout des ventres tendres
Pour inventer des hommes
Pareils à moi
Mon orgueil n’a pas tort
Le monde ancien ne peut me toucher je suis libre
Je ne suis pas un fils de roi je suis un homme
Debout qu’on a voulu abattre

Paul Eluard, « Le Travail du poète », dans Poésie ininterrompue, Poésie/Gallimard, p. 55-56.


 
 

David Kajman

03/06/2017



1946. Aucun doute, pour moi, sur la nature de la chair de l’homme qui a été mise en pièce et dont il est ici question. Et depuis, tant d’autres chairs…

J’adore la puissance de ce poème. Le côté performatif, programmatique. « Je sais parce que je le dis alors c’est comme ça ». Je décide malgré mon désespoir que mon désespoir a tort. Sinon comment donner raison à nos désirs ?

(Cet exergue c’est du teasing, il faut lire le poème en entier, vraiment. Il parle aussi d’être à deux sous un drap blanc.)

Je sais parce que je le dis que je suis à la fois le ventre tendre et le justicier sans pitié.

 

Powered by : www.eponim.com - Graphisme : Thierry Mouraux   - Mentions légales                                                                                         Administration