Adage n° 27.1 : Il n'y a que la vérité qui blesse / B. Antzenberger



Adage n°27.1

 

Il n'y a que la vérité qui blesse
 
 

Benjamin Antzenberger

03/07/2021

 

  A la première lecture, je frémis : l’adage se drape dans la restriction. Un heureux personnage pose la réplique finale, et ne se retourne pas sur celui que le mot vient de trancher. Il sort, mais dans sa main continue de serrer quelques post-it enroulés comme des parchemins. Il fallait dire ses quatre vérités à l’ignorant. Sur l’axe nord-sud, parler pour que le ciel tombe sur la tête. Aussitôt innocenter le coup porté : la vérité sort de la bouche des enfants dit-on alors pour aller d’ouest en est.

Formulée de façon incisive, la vérité est une blessure qui se répand dans tous les membres du corps, un corps qui en éprouve - hypo - la nécessité. Néanmoins, l’adage peut-il être édifiant s’il prétend aux vertus cardinales d’une vérité en lui accordant le déterminant défini à la manière d’un don d’ubiquité ?

A cet endroit, il me manque une proposition : celle qui m’assure d’un bénéfice secondaire de la vérité qui blesse. Et comme je ne la vois pas, je me déplace en faveur d’un autre trajet.

Je commence au répertoire des figures noires : le loup, la sorcière, la marâtre, l’ogre, j’en passe ; et tandis que les enfants apprivoisent leurs peurs, s’apprivoisent aussi, après une journée où je me suis bien râpé, je suis ce lecteur qui prend ce qu’il a à prendre. La langue déploie sa dynamique : une image concatène - hyper - la douleur, et le texte devient un Le Bret où s’épanche Cyrano dans la nuit : « Mon ami, j’ai de mauvaises heures ! De me sentir si laid, parfois, tout seul… » La vérité qui blesse devient cette rencontre qui (ré)informe les tissus : l’estafilade ne jaillit pas du texte, elle était au préalable, sous l’habit, mais le texte a saisi, précisément où il fallait suturer. Il a tiré en même temps l’aiguille et le fil, ce nécessaire dont l’existence suffirait presque à ressentir la cicatrisation. Voilà une affaire qui se joue à deux seulement, au creux d’un dialogue silencieux.

Pour finir, je relis un vieil album à mes neveux : L’ours et l’enquiquineuse. Malgré l’affiche « Ne pas déranger », un plantigrade enrage de croiser sans cesse une minuscule souris grise, laquelle parvient cependant à lancer : « Que dirais-tu de partager un bout de fromage et une tasse de thé ? » Alors, son hostilité épuisée, plus doucement, l’ours aborde page après page cette nouvelle compagnie en omnivore affable et loquace.

Si elle est en droit d’agir, je veux penser une vérité qui blesse comme une vérité sans adresse, dans un texte suffisamment large pour que le lecteur la prenne seulement s’il a en main de quoi la prendre : l’ours s’est entaillé à cette part de lui, une enquiquineuse, cette vérité, mais une amie aussi, à qui il parle, avant d’émietter son panneau, fermer le livre et dormir, davantage en passe de se réconcilier avec lui-même.