Adage n° 24.1 : Qui aime bien, châtie bien / A. Bayrou



Adage n°24.1.

 

Qui aime bien, châtie bien
 
 

André Bayrou

03/04/2021

 

Il est élégant et chantant, ce verbe « châtier » ; plus explosif, son ancêtre latin castigare fait entendre la bousculade – la « castagne », la châtaigne – que l’on déclenche par une réprimande.

Comme dans d’autres dictons, on hésite sur le sens à donner au mot « bien », sur lequel repose toute la symétrie de la formule. J’ai souvent entendu et fait moi-même servir cet adage à justifier la moquerie affectueuse. Il m’a aidé à penser le fonctionnement d’une certaine ironie et la complexité des liens amicaux, où l’affection peut se masquer sous la vacherie et le désir se fondre en agressivité. Dans ce premier emploi, l’adverbe « bien » serait un intensif : « plus on aime fort, plus on pique fort ». Ce serait aussi une demande de permission : « si tu sais que je t’aime, permets-moi de te taquiner. » Bien sûr, quand on sent le besoin de clarifier ainsi ses intentions, on reconnaît déjà les inconvénients d’un humour qui peut semer la zizanie, en mettant les nerfs à vif.

  En grandissant, j’ai fini par trouver dans l’adage un défi plus lourd : comment peut-on recourir à la punition pour le bien des êtres dont on se trouve responsable ? Je ne pense pas seulement au débat sur les châtiments corporels dont ma génération a vu les derniers flamboiements à l’école, avant leur extinction progressive, si bien que nous comprenons tout autant (je présume) qu’on ait pu naguère tirer les oreilles et que ce soit proscrit désormais. Non, plus significatif est le dilemme moral de l’autorité, non seulement à l’école mais dans la vie courante.

Même si je déteste toujours vivement qu’on me rappelle à l’ordre, je m’estime chanceux d’être tombé sur des gens clairvoyants qui m’ont aidé, en faisant preuve d’autorité, à poser les limites entre lesquelles je pourrais chercher à m’épanouir le plus sereinement possible. En termes psychanalytiques, quelle que soit la puissance de persécution intime du « sur-moi », je conviens que nos pulsions seraient bien plus tyranniques et destructrices, si l’on ne parvenait à leur opposer quelques règles fondamentales.

Mais le succès de ces interpellations désagréables dépend du fait que l’on perçoive qu’elles se font pour notre bien, et qu’elles n’annulent pas toute la sympathie, toute la philia, qu’il peut y avoir entre un adulte et un enfant, ou entre deux concitoyens. Cette fois, l’adverbe « bien » n’est pas un intensif, mais indique une cohérence et un engagement vers une fin bonne : le meilleur châtiment n’est pas forcément le plus sévère, il peut surprendre par sa légèreté, du moment qu’il apparaît mené à bien, sans se suspendre rapidement sous l’effet du remords. Et quand on veut vraiment le bien de son vis-à-vis, ne sent-on pas le besoin d’intervenir tout en restant dans la retenue ? Se fixer ses propres limites dans l’imposition de limites aux autres, à la recherche d’un terrain de confrontation maîtrisée, où l’on puisse se castagner un peu sans se faire de mal.

 

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