Adage n°20.1: La nuit porte conseil / H. Merlin-Kajman



Adage n°20.1.

 

La nuit porte conseil.
 
 

Hélène Merlin-Kajman

05/12/2020

 

Je me suis longtemps demandé comment la nuit pouvait bien porter conseil. C’était un peu comme un miroir déformant : quand une partie de la phrase trouvait sa place reconnaissable, l’autre s’échappait immédiatement. Le conseil déformait la nuit en la rendant insomniaque (car comment, les yeux ouverts dans le noir ou les paupières fermées sur de méchants tourments, comment, s’efforçant de lire, ou bien l’oreille collée à un transistor, ou bien assis à boire un bol de lait à l’eau de fleur d’oranger, comment, oui, comment prendre conseil quand on cherche désespérément le sommeil ?). Ou bien alors, c’était la nuit qui déformait le conseil en l’assoupissant (comment délibérer en somnolant, comment préparer sa décision sans vigilance de la pensée, les sens en alerte, le cerveau rapide, l’œil vif ?).

La phrase de l’adage ne tenait pas ses deux bouts ensemble : le verbe « porter » ne portait rien, et c’était torturant. Ou bien l’un, ou bien l’autre : la nuit ou le conseil, le sommeil ou la vigilance, mais pas les deux en même temps ; pas de soutien entre l’un et l’autre ou de l’un à l’autre, pas de passerelle, rien qu’un sentiment de vacillement, de fuite stérile, de temps mort : ou bien mort pour le conseil, ou bien mort pour le sommeil.

 Je crois qu’en fait, j’étais vexée (et affolée) d’imaginer que peut-être, le conseil n’avait pas besoin de moi. Qu’il avait besoin que je dorme, précisément. Que je lui fiche la paix… Qu’il ferait ce que les parents font quand les enfants dorment : ils parlent à voix basses des choses graves, des décisions à prendre, sans s’affoler ; et quand les enfants se réveillent au matin, la lumière est belle et les fronts sont sereins… (J’imagine une enfance que je n’ai pas eue et pas toujours donnée…)

Et c’est l’expérience, peut-être, qui m’a appris à accepter peu à peu la quadrature du cercle – à accepter l’adage, à le comprendre. J’ai appris la sagesse hasardeuse du rêve, et qu’on pouvait penser sans mots, et que la distraction pouvait faire voir ce que l’attention laissait échapper, et que le temps avait sa propre étrange dynamique, comme les fruits qu’on cueille avant qu’ils ne soient murs et qu’on laisse tranquilles pour qu’ils finissent tout seuls leur maturation irrésistible.

« La nuit porte conseil » , peut-être est-ce en fait la quintessence de l’adage : une invite à ralentir et faire confiance au temps venue elle-même de la nuit des temps.

 

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