Adage n°5.3. : Chacun voit... / D. Moucaud (2)



Adage n°5.3.

 

 
Chacun voit midi à sa porte
 
 


David Moucaud

07/03/2020

 

Ce « loin des yeux » sans contredit, ce « tous les chats » qui nivelle à l’envi, cet « ennemi du bien » pour le moins tue-l’amour, enfin cette « caravane » impassible comme un 49.3 : l’adage hérite moins du dicton de chacun qu’il ne formule le tacite consentement de tous à un catalogue de vérités inhibitrices. Motus immotus. Son monde figé nous fige.

Paradoxale, cette appétence des critiques pour la gnomorrhagie ? Nos quelques paraphrases discrètes affrontent un ruminant silence, en contre-feu d’une flamme dont balancement syntaxique et bon sens – phraséologues pérennes – sont deux vestales. Soyons-en donc une autre, révoltée, ahurie, impatiente. Face aux impérieuses urgences du temps (vagues de matraques qui ne font pas de vagues, flots de réfugiés que heurtent d’autres flots), il semblait urgent de défiger l’inerte, l’intemporelle pesanteur.

Si de rares adages se complaisent à ne pas trancher, « Chacun voit midi à sa porte » signe d’un cinglant implicite l’élan brisé d’un non-recevoir. Son midi sorti du lot commun, son chacun propriétaire, sa porte bien concrète l’ont traduit, dans un durable et dédouanant naguère, par son revers explicite : « On ne peut accueillir toute la misère du monde ». Devant l’une et l’autre sentences, fine comme du papier-bible, se tient pourtant ferme cette porte que l’on n’entend plus même claquer, mais qui ferme le ban. Chacun derrière sa porte et tous contre le monde.

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MERIDIE, MARI MAGNO…

Chacun voit midi à sa porte

Et bien souvent y laisse

Cette cigale de voisine.

 

Chacun sait le flot qui s’abaisse

Et invariablement déporte

Ces barcaroles sans comptine.

 

Chacun s’étonne que les airs

Qu’on chante au large de Bizerte

S’étranglent dans la nuit sans joie.

 

Elle est belle, hors du temps et face aux golfes clairs,

Et pourtant elle est noire d’un sang qui nous noie.

A minuit chacun boit sa perte.

 

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* *

 

Chacun voit midi à sa porte

tandis

qu’on se noie la nuit à nos portes.

Et pourtant

Gibraltar, Marseille, Lampedusa, Chios.

 

Chacun voit

Chacun noie

ce midi

à sa porte

à nos portes

 

Aylan ou Misrata

 

*

* *

 

à toute chacune un chacun,

à toute lagune un chagrin,

à toute rancune un ricin

et sous toute lune un crin-crin

mais toute honte bue,

à pleine tasse ou à tue-tête,

à brûle-pourpoint, à vau-l’eau,

à ras la gueule, à qui mieux mieux,

à bouche que veux-tu quand la dignité gêne

l’achéen rentre à son neptune

tintin repique à sa tribune

chacun retourne à sa chacune

 

et clôt impuissamment sa porte méridienne.

 

l’oubli dubline et Chacun voit,

amer des autres,

la mer des nôtres.

 

 

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