Adage n°40.1.

 

Dindon perché, temps moullé

 
 

Hélène Merlin-Kajman

16/07/2022

Je ne suis pas certaine de très bien comprendre cet adage : le verbe « mouller » à lui tout seul est une énigme attestée par un livre et même par internet, mais j’y entends obstinément « mouiller », d’autant plus qu’on trouve d’autres adages proches et faciles à comprendre, par exemple « quand les pigeons sont perchés, la pluie est annoncée ». J’imagine que c’est d’abord une simple observation, comme celle des hirondelles qui, en volant bas, annoncent l’orage parce que la pression atmosphérique fait descendre les insectes vers le sol. Sans doute les dindons se perchent-ils quand ils sentent venir la pluie, sur un arbre par exemple, comme dans une fable de La Fontaine, pour se mettre à l’abri de son feuillage (précaution inutile contre les ruses du renard).

Mais quel en est le sens moral ? Quelle règle de prudence délivre-t-il ? Quels comportements humains nous invite-t-il à observer autour de nous pour comprendre qu’un danger menace ? Le dindon n’est pas placé très haut dans la hiérarchie des êtres. L’adage désigne-t-il plutôt à notre mépris certaines personnes pleutres, celles qui se planquent en égoïstes ou en imbéciles dans l’adversité ?

Ma perplexité, en tout cas, m’apprend quelque chose d’intéressant. Pour être pleinement efficace, un adage doit être familier. A moins que son sens littéral ne soit limpide, seul son usage nous dit ce qu’il signifie. Au reste, cet usage peut être souple, varié, contradictoire. C’est même à cette condition que les adages me plaisent : malléables et dialogiques, ils me donnent une sorte de minuscule conseil à géométrie variable que je peux m’adresser à moi-même en diverses occasions tout en me reliant aux autres.

En ce sens, l’adage a quelque chose du poème dont un vers nous accompagne en situation de détresse. Mais il est plus « usé » - moins personnel, moins intersubjectif. Ce vers, nous l’avons choisi, il est venu à nous directement par la bouche d’un être humain qui nous ressemble et nous parle singulièrement grâce à l’intensité de sa voix propre. L’adage, lui, nous vient de partout, de nulle part, de tout le monde. Et plus sa voix bruisse de directions multiples et incertaines, plus il m’aide à continuer. Une foule m’accompagne, cacophonique mais chaleureuse, essayant de garder des repères, de les tester, de les transmettre. Les singularités s’estompent en s’accordant de façon approximative. Ce n’est pas l’harmonie du consensus, c’est un simple effort transhistorique. Je ne suis pas seule, mais tout autrement qu’avec un vers : je suis une goutte d’eau dans l’océan, infime mais guidée, solidaire épisodiquement de milliards d’autres gouttes imperceptibles.

L’adage en somme est mon perchoir à moi, grâce auquel je suis prête à essuyer la pluie.

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