Adage n°39.1.

 

Pas de nouvelles, bonnes nouvelles.

 
 

Michèle Rosellini

11/06/2022

Encore un adage qui a moins valeur de vérité que vertu de réconfort. Je me le répétais naguère, ou plutôt jadis avant l’invention du téléphone mobile, pour justifier ma paresse à écrire aux parents durant de longues et lointaines vacances. La force du cliché me faisait oublier que nous n’étions pas, quant à l’importance des nouvelles de l’absent, dans une situation symétrique. De fait (je l’ai su depuis) les enfants sont moins en peine des nouvelles de leurs parents, que les parents de celles de leurs enfants. La symétrie n’existe vraiment qu’entre connaissances plus ou moins proches. L’adage prend alors toute sa validité, au prix d’une arrière pensée peu avouable : on peut négliger de prendre des nouvelles de quelqu’un et le supposer bien portant tant qu’on n’a pas lu son nom dans la rubrique nécrologie.

Mais qu’en est-il pour le sujet amoureux ? lui qui est par définition (celle de Barthes), celui qui attend ? L’absence de signe qu’est alors le « pas de nouvelles » tend à être interprété comme une marque d’indifférence, ou – en plus définitif et en moins humiliant – la preuve d’une disparition. Privé du seul lien que pourrait maintenir à distance l’être aimé : les mots écrits ou parlés, il ou elle vit l’attente de leur survenue dans une angoisse d’autant plus intense qu’elle n’a pas de fin prévisible. Les figures d’amants suspendus au passage de la poste (Wilhelm Müller) ou immobilisés à côté du téléphone (Marcel Proust) peuplent la littérature. On pourrait croire révolue, à l’ère de la communication instantanée, le petit deuil que faisait vivre au sujet amoureux le suspens indéfini du message attendu. Bien au contraire, la possibilité technique d’obtenir une réponse immédiate à un sms ou à un mail fait du silence du destinataire une source inépuisable d’hypothèses torturantes sur la cause du retardement : incident technique ou accident mortel ? accaparement ponctuel au éloignement définitif ? Où trouver l’apaisement provisoire, ou du moins le sursis à la panique que permettaient autrefois la lenteur de la poste et la rareté des cabines téléphoniques ? L’autre en voyage pouvait objectivement être empêché de donner de ses nouvelles, et le sujet souffrant était, de son côté, en droit de projeter sur lui sa propre douleur et sa propre frustration : une façon – tout imaginaire mais souvent efficace – de rester en communion à défaut de pouvoir entrer en communication. Dépourvu aujourd’hui de ces alibis, l’imagination catastrophique du sujet amoureux ne peut qu’entendre le silence comme l’annonce tacite de l’abandon. Le « pas de nouvelles » s’interprète alors en plus jamais de nouvelles…