Adage n°38.1.

 

Les amis de mes amis sont mes amis

 
 

Michèle Rosellini

11/06/2022

Un adage qui a fait l’objet d’une vérification scientifique est assez rare pour être pris en considération. Celui-ci a d’abord retenu l’attention du romancier hongrois, Frigyes Karinthy, qui en a tiré le sujet d’une nouvelle, Chaînes (Links), parue en 1929. Son narrateur soutient qu’avec la multiplication des communications internationales le monde a rétréci, et le prouve en se découvrant en lien avec l’écrivaine suédoise Selma Lagerlöf par cinq intermédiaires, et, par quatre seulement, avec un riveteur américain de la compagnie automobile Ford. Cette simple hypothèse a récemment reçu des confirmations expérimentales – notamment à partir des réseaux sociaux – qui l’ont promue au rang de théorie des six poignées de main. Chaque individu dans le monde ayant au moins une centaine d’amis – au sens des réseaux sociaux, c’est-à-dire : personal acquaintances (connaissances personnelles) – et ce premier cercle se doublant inévitablement d’un second de 10 000 personnes (100x100), la croissance exponentielle des amis d’amis conduit automatiquement le cinquième cercle à englober l’humanité entière.

Une conception si froidement arithmétique du phénomène nécessite quelques aménagements pour rester plausible eu égard à la diversité des modes de vie et donc des formes de relation d’un groupe humain à l’autre. Mais il n’y a pas lieu ici d’entrer dans ces considérations. Je suis plutôt alertée par le fait que cette tentative de validation objective de l’adage le fragilise en démontrant paradoxalement qu’il ne se vérifie qu’avec les non-amis, ou plus exactement les pas-vraiment-amis : des gens avec lesquels nous avons des accointances, ou desquels les hasards de nos existences respectives nous ont rapproché, bref plutôt des indifférents. Pour que le proverbe s’applique à l’amitié véritable, il faudrait concevoir celle-ci comme un état de parfaite équanimité, voire une forme d’ataraxie. Tout au contraire, l’amitié, si elle est vive, a ses exigences affectives et ses dérives passionnelles. L’ami(e) de notre ami(e) peut être perçu(e) comme un ou une rival(e), ou du moins faire obstacle à une intimité amicale qui exige l’exclusivité. Nous avons fait l’expérience dans l’enfance et l’adolescence de ces relations parfois tumultueuses avec le ou la meilleur(e) ami(e), ce double idéal qu’on aurait voulu garder pour soi seul(e). L’âge nous ayant civilisé, nous savons entretenir plusieurs amitiés fortes sans les mettre en concurrence. Mais rien ne permet de surmonter l’antipathie immédiate que nous peut nous inspirer quelqu’un qui entend se rapprocher de nous par un truchement. Amis, les amis de nos amis ? A voir… 

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