Adage n°37.1.

 

A bon chat, bon rat.

 
 

Michèle Rosellini

11/06/2022

En dépit d’une longue familiarité avec les chats, je ne suis pas en mesure de vérifier la validité littérale de cet adage : les chats d’appartement rencontrent rarement des rats, et ceux qui disposent de vastes espaces extérieurs dérobent leur chasse aux regards des humains. Tout au plus ai-je constaté le retour du pépiement des oiseaux dans la colline depuis que je nourris les chats errants : preuve a contrario du peu de moyens de résistance que ces proies ailées avaient tiré de l’affrontement permanent avec leurs prédateurs. Quant aux rats, je n’en sais rien…

À l’entendre figurément, l’adage ne me convainc pas davantage. Les formules que les dictionnaires veulent explicatives me paraissent au contraire en obscurcir le sens. Que ce soit : « À bonne attaque, bonne défense », ou bien : « L’adversaire est prompt à la riposte », ou encore : « Un attaquant et un attaqué se fortifient l’un l’autre au gré de leurs rencontres », toutes ces paraphrases suggèrent une situation égalitaire incompatible avec la logique de l’adage. Cette logique est portée par sa forme syntaxique et rythmique, qui installe une relation d’émulation entre le rat et le chat. En développant l’implicite, on obtient une proposition de ce type : la proie tire de l’observation de la puissance ou de l’ingéniosité déployées par le prédateur ses propres capacité de résistance ; ou bien, avec une minime transposition : l’agressé trouve dans les moyens mis en œuvre par son agresseur des ressources, voire un modèle pour sa propre défense. La réalité des affrontements dément violemment une telle hypothèse : c’est dans sa propre expérience, dans son courage, dans son attachement à ses valeurs qu’un peuple agressé puise les ressources nécessaires pour résister à son agresseur, comme nous l’enseigne quotidiennement le peuple ukrainien en armes.

Si l’on se tourne du côté de la fable, on trouve un même démenti. La Fontaine a pris soin de le faire entendre dans « Le Chat et le vieux Rat ». Le protagoniste est à l’évidence un « bon chat » : il peut se prévaloir d’être « le fléau des Rats », non pas seulement par sa puissance et sa célérité, mais du fait de ses ruses inédites. Le peuple des Souris, en dépit de la défiance acquise par une longue expérience de la persécution, s’y laisse prendre à tout coup, preuve qu’il n’a rien appris de l’ingéniosité de son prédateur. Seul un « vieux routier » de Rat flaire « quelque machine » sous le tas de farine où s’est dissimulé le Chat et se garde d’approcher, se qualifiant ainsi comme un « bon rat », expert en ruses. Une telle application doit nous faire entendre littéralement l’emploi au singulier des mots « chat » et « rat » : loin d’être paradigmatique – de viser une catégorie par son terme générique –, le singulier désigne des individus faisant précisément exception à leur espèce, comme ce vieux sage de Rat face à « l’Alexandre des Chats ». Mais, en ce cas, a-t-on encore affaire à un adage ?