Abécédaire

 
 Lumière n° 2
 
 


Eva Noué

14/03/2015

Par son trop d’évidence, la lumière déroute les dictionnaires. Ils se bornaient autrefois à enchaîner les platitudes, ils s’en tirent aujourd’hui par la concentration de données savantes. Furetière la disait « corps fort subtil prompt et délié qui cause la clarté, qui éclaire, qui donne la couleur à toute chose, qui rend les objets visibles » ; elle est, dans la récente édition du Larousse, « rayonnement électromagnétique dont la longueur d’onde, comprise entre 400 et 780 mm, correspond à la zone de sensibilité de l’œil humain, entre l’ultraviolet et l’infrarouge ».

Par chance le mot fructifie en ses emplois techniques. Le lecteur est éveillé aux aventures de la langue par la multiplication des entrées. La lumière d’un canon, d’un mousquet ou d’une arme à feu, est un trou proche de la culasse, où on met l’amorce pour tirer. On encloue les canons en fourrant un clou à force dans la lumière. La lumière des tuyaux d’orgues est le trou par où entre le vent. Celle des flûtes et hautbois, est le trou qui est près du côté par où on l’embouche. La lumière des instruments astronomiques est un petit trou ou une petite fente qu’on fait dans les anneaux ou pinnules qui servent aux observations mathématiques et qui admettent un petit rayon de lumière : c’est l’endroit par où on regarde l’objet. En termes de mécanique, lumière est l’ouverture dans laquelle entre le mamelon d’un treuil ou cylindre, où il est suspendu et où il tourne. Lumière en termes de marine se dit des trous, canaux et égouts par où l’eau coule dans la sentine, ou à la pompe, qui règnent à fond de cale, de poupe en proue sous les varangues à côté de la carlingue. Se dit, parmi les charpentiers, les ébénistes, etc., d’une mortaise ou ouverture qui traverse de part et d’autre la pièce de bois. La lumière d’un rabot. Lumière se dit aussi du calibre d’un vaisseau artériel ou veineux coupé en travers. La lumière de l’artère crurale.

Que peut nous dire ce bric-à-brac lexical sur la perception de la lumière ? Qu’elle ne paraît jamais si vive que quand elle perce à travers un matériau opaque. Et que l’activité de l’esprit n’a pas nécessairement à faire avec les lumières de la connaissance et de l’intelligibilité pleine et entière. Qu’elle peut être cheminement à tâtons vers un « petit rayon de lumière », une lueur intérieure, une trouée de sens qu’il faut accueillir avec bienveillance pour se sentir pensant.