Abécédaire

 

 
Sentence n°2
 
 


Anne Régent-Susini

01/06/2019

 

La sentence est gyrovague. Ce peut être, pourtant, un arrêt : la sentence tombe, elle pourrait même nous écraser ; exécutée, elle pourrait nous exécuter. Autorité, voire tyrannie de la forme – une confusion des ordres, par laquelle la rigueur de la formulation prétend garantir la solidité du fond : un coup de force, qui à partir de la rhétorique fabriquerait de la vérité. Lapidaire, la sentence immobilise, elle fige, elle pétrifie – après tout, le minéral est gage de durée.

La sentence parle pour tous, mais elle n’est pas permise à tous – et parfois porte à faux. Au rebours d’un étymon laudatif (« riche d’idées, de pensées »), sentencieux est devenu péjoratif : la sentence relève désormais moins du dit que du dire, d’un ton, d’un air – de l’air de celui qui prétend dire plus que lui-même, qui donne sa parole pour surplombante, maximale (il n’existe pourtant pas d’adjectif équivalent pour qualifier le discours de celui qui produit des maximes). Du côté des verbes, maximer est fugacement passé dans la langue, avec le sens de « Donner la valeur d'une règle générale à ». Sentencier, plus précoce et un peu plus durable, a signifié « ordonner (qqch) par jugement », ou encore « condamner (qqn) par une sentence ». Axiome contre verdict – dans les deux cas, donner à sa parole une assise et une portée au-delà de soi-même.

Mais pas seulement : dès l’époque impériale, entre figure de pensée et figure de style, la sententia pouvait renvoyer à des traits proprement stylistiques : en elle et par elle, il s’agissait au fond de sertir le sentir (sentire). La sentence peut ainsi dessiner un espace entre rhétorique et poétique, où le figement (des formes) non seulement permet mais produit la mobilité (du sens), où la mémoire ouvre le général sur le singulier : « La simplicité de la Bible […] est sentencieuse, et revient aux mêmes locutions pour exprimer des choses nouvelles », écrit Chateaubriand : le retour aux sources, alors, accompagne le renouvellement du regard, nous invite à réinterroger la ligne de partage entre l’inédit et le déjà-là, et nous conduit de l’originel à l’original.