Abécédaire

 

 
Judaïsme
 
 


Hélène Merlin-Kajman

2/03/2019

 

 

Le judaïsme, le christianisme et l’islam : les trois grandes religions monothéistes modernes se rattachent à la même cosmogonie de départ. Adam, Eve, la création en six jours, le jardin des délices, la punition, le meurtre d’Abel par Caïn, le déluge, et finalement Abra(ha)m et l’alliance : voici le noyau commun. Leur organisation et leur horizon éthique n’en diffèrent pas moins profondément. Il y a notamment, dans le judaïsme, une perplexité qui n’existe pas dans les deux autres (peut-être parce que le nom de Dieu y est inconnaissable ?). De là, l’humour, le seul au monde qui obstinément rit de soi (sauf quand il est misogyne) ; et la passion de l’interprétation (toujours douteuse).

Le judaïsme, l’islam et le christianisme constituent aussi des cultures. On parle même de culture « judéo-chrétienne », de culture « judéo-arabe ». Ces expressions un peu fallacieuces attestent tout de même d’échanges constants, dès que surgissent le christianisme d’abord, l’islam ensuite. Mais ces deux derniers sont conquérants, contrairement au judaïsme dont la définition repose sur l’idée d’un peuple choisi : il ne cherche pas à convertir, plutôt à respecter sa parole (et ça ne va pas de soi).

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Le judaïsme n’est pas le sionisme, vraiment pas, de quelque manière qu’on prenne la chose.

L’antisionisme n’est pas l’antisémitisme à condition que les antisionistes soient clairs sur cette première évidence, et prêts à se battre pour elle ; à condition aussi qu’ils fassent toute la clarté sur ce qu’ils appellent « antisionisme ».

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Je sais beaucoup plus de choses sur le judaïsme que sur l’islam.

Je les sais de façon diffuse, parce que ma vie se confond avec la fréquentation, l’amitié, l’amour, d’ami(e)s, d’amants juifs.

On dit qu’être juif, c’est une identité ; mais cette identité traverse la mienne tant elle m’est très familière aussi loin que je me souvienne.

La raison en est archi-simple. J’ai grandi dans un pays, la France, où des juifs vivent depuis plus d’un millénaire ; et sur un continent, l’Europe, où il en va de même : mais où « vivre », pour eux, a signifié tout aussi bien mourir. Mourir, et cela depuis toujours, jusqu’à l’acmé : des millions de morts dans les chambres à gaz.

Pour que des gens meurent à grande échelle sans raison naturelle, il faut que d’autres les tuent. Cela signifie beaucoup de haine. Pas une haine ponctuelle, pas une haine accessoire : mais une haine transmise, entretenue, une haine consciente d’elle-même, depuis deux millénaires au moins.

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J’ai grandi dans la connaissance de la haine des juifs ; je l’ai respirée avant de mesurer ses conséquences, son efficacité meurtrière. La découverte de ce parfum de crime qu’entraîne avec soi tout sentiment antisémite est un choc que je n’ai pas oublié. Il produit des révisions en chaîne. D’un seul coup pour moi tout s’est trouvé modifié. Ne pas être raciste, xénophobe, islamophobe, misogyne, homophobe, etc., ne se sépare pas de ce choc.

Cependant l’antisémitisme ne se compare pas : car les phobies de l’autre ne se ressemblent pas. Les différences ont chacune leurs différences ; et reconnaître la différence d’une différence n’est pas faire tort à toutes les autres. Chaque genre de phobie de l’autre a sa couleur, son histoire, et ses conséquences spécifiques.

L’histoire démontre que l’antisémitisme soutient des souhaits de mort, et que ces souhaits de mort se sont répétitivement réalisés. Ce sont les concitoyens, les voisins, les amis que l’on tuait : accusés de se liguer pour empoisonner les puits, manger les petits enfants, accumuler des richesses et prendre possession du monde. La haine flambait, flambe encore.

C’est pourquoi les phobies de l’autre se combattent dans leur détail à l’intérieur de soi : pas à coup de grandes déclarations humanistes, pas avec des slogans généraux.

À l’intérieur de soi, sans faux-fuyant.