Abécédaire

 

 
Fièvre n°2
 
 

 

Noémie Bys

12/01/2019

 

 

Est-ce le mot qui a provoqué la fièvre, ou la fièvre qui sert le mot. Les pomettes roses font contraste avec une peau blâfarde, les yeux vitreux, la bouche sèche, le corps à demi-éveillé. Je crains fort le symptôme criant de la maladie ; il faut dire qu’elle se fait remarquer très facilement, la fièvre.

 Du latin febris dérivé de fervere qui veut dire bouillir, elle est le résultat d’une élévation de la température corporelle, comme une cuisson interne par exaltation, maladive ou émotionnelle, à plus de 37 degrés.

 Avec la fièvre le regard est ailleurs, il ne peut plus rien surprendre, seulement la lutte avec une douleur inconfortable de corps mou, lourd ou inexistant. Ce n’est pas qu’on ne regarde rien, c’est que l’on se regarde soi, débarassé.e par les circonstances de l’espace-temps comptable, il n’y a rien d’autre que le présent de la lutte. Un état second qui serait sans souvenir.

 Seulement le temps de l’hypothétique, un imaginaire assez dévasté, et terrifiant.

 C’est le rythme de la fièvre qui lui donne un nom, il multiplie les combinaisons distinguant tout de même deux classes : les intermittentes et les continues. Il y aurait alors la fièvre lente, la fièvre double-quotidienne, la fièvre demi-tierce (composée d’une continue et de deux intermittentes), la fièvre confuse — qui est sans période, la fièvre tierce légitime – rémission certaine au-delà de douze heures, etc. Le malade semble avoir aussi le droit à sa musique intime : un adagio, une cantate, ou du gros son.

 Je me souviens d’un dessin animé assez ludique qui, pour expliquer le fonctionnement du corps humain, personnifiait toutes ses composantes. Ainsi, la Fièvre était provoquée par les Défenses Immunitaires — de sacrés héros et héroïnes en costume plutôt galactique — qui pour faire fuir les Bactéries — les méchants de l’histoire — augmentaient la température du corps. La chaleur serait leur point faible disait-on, j’y ai plutôt cru, comme un arrangement supportable qui me donnait le bénéfice du courage. J’ai de la fièvre, je suis rouge, pas très sagace, mais mon corps est en plein combat. C’était une belle épopée biologique.

 La défense n’est pas seulement assurée contre des corps étrangers mauvais pour l’organisme, elle assaille aussi le trop d’émotion. À coup de passions, passionément, la tête s’échauffe ainsi que les oreilles, la poitrine, les mains — jamais les pieds. C’est encore une histoire de tension interne.

 Alors l’hallucination apparait dans son apparat d’acmé, dans une lumière de nuit, n’imposant aucune limite à ses convocations chimériques. Un caméléon se promène sur la table à manger, la terre tremble, il n’y a plus de mur.

 L’état morbide n’a pas d’écho, il disjoint afin que la fièvre puisse construire son propre cri et bouillir le trop, trop. À noter : surveiller le frisson, il peut annoncer le rythme.