Abécédaire

 

 
Vue n° 1
 
 


Noémie Bys

23/06/2018

 

 

Des cinq sens certains le disent le plus noble. La faculté de voir aurait donc la primeur sur le toucher, le goût, etc. À bien y réfléchir, qu’importe ici la hiérarchie. 

La vue, soutenue par deux orbites d’une variable déclinaison de couleur, est surplombée d’une pupille qui, s’épaississant ou engloutie, fabrique un cercle noir – haut lieu de l’intrigue. Des yeux, le contrôle se veut parfois bancal, mais la vue s’adapte à la coquetterie de l’oeil, à la divergence de l’autre. Elle se corrige lorsque le flou s’impose de loin, ou de près.

Le mot me suggère de grands espaces, des paysages à perte de vue. Par souci de la contemplation, à commenter en des termes bucoliques.

Témoin d’un angle, elle nous donne le récit d’un épisode en image. Elle peut choisir le détail ou faire l’hypothèse d’un panorama. C’est une affaire de composition. Il est aussi dit que l’on peut perdre de vue.

Je ne crois que ce que je vois. Je ne vois que ce que je veux voir. Tu vois ce que je vois. À vue d’oeil. Frémir à sa vue.

Il faudrait savoir si elle fait événement.

La vue ne semble pas se restreindre à l’éducation du bien voir, à ce qui est mal vu. Je voudrais que les lettres mêmes forment un petit bateau, et que le mât retourné du V s’égare par les vents muets du E. La vue : espoir ou résignation, suivant sa largesse ou la confrontation à un mur.

Mais c’est peut-être un peu différent du regard, une histoire d’un tableau qu’on va peindre pour soi. Comme si le regard, c’est ce que l’on voyait chez l’autre : il se donne pour première accroche, la part sensible où se refugie l’interprétation, ce qui touche le corps et au-delà. En somme, la vue est un secret que l’on décide de partager, ou non. Le regard, lui, se dénonce seul.

Il n’y a pas de tactique de défense. Il suffit de fermer les yeux, mais cela n’occulte pas la pensée de la vue. Ce sont les mille figures géométriques qui s’éparpillent dans la nuit comme s’il n’était pas autorisé de ne plus voir.

Mais les nuits ne sont plus les mêmes suivant les âges ; la vue s’attarde sur d’autres points, la curiosité du regard demeure, comme une énième vulnérabilité.

La fureur rend la vue égarée. Et c’est prendre le risque qu’une bouffée brumeuse rende la chose brouillée. Alors on vient poser les paumes sur ses paupières, l’on compte jusqu’à 3, et sans rien voir, on entend crier Soleil.

 

 

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