Abécédaire

 

 
Trompette
 
 


Boris Verberk

09/06/2018

 

 

 Instrument qui change du tout au tout suivant qu’on l’envisage au singulier ou au pluriel.

 

Les trompettes sont légion, et ont des échos guerriers dans la nuit des temps. On n’en compte plus les formes : du simple clairon qui se contente d’une embouchure, d’un tube et d’un pavillon, à l’impressionnant carnyx celte, long de plusieurs mètres et affublé d’une figure monstrueuse dont la langue de bois rythme le cri. Les trompettes se font entendre, et même seules elles imitent et exaltent la fureur d’une armée. Elles en deviennent l’instrument des ordres et du ralliement, dominant le tumulte des affrontements. C’est cette capacité à survoler la mêlée qui leur confère ce ton héroïque. Quand elles sonnent, on n’entend plus qu’elles. Qu’elles soient de bronze ou de laiton, on les appelle cuivre parce qu’elles font partie des choses qu’on lustre : les casques, les bottes, les armes, les honneurs. J’admets que ça a du souffle.

C’est au pluriel que jouent les trompettes des fanfares, imitant étrangement les cris de guerre sous l’uniforme dans les rues paisibles. Elles ne s’accompagnent alors que de lourdes percussions qui marquent le pas.

 

Pourtant, au singulier, elle ne crie plus. Elle prend alors le parti des fifres qui l’accompagnent d'ailleurs dans les airs militaires, et revient aux mélodies populaires dont s'emparent si souvent les armées mais qui n'en restent pas moins plaisantes à fredonner. Elle déserte sa fière cohorte pour chantonner avec la flûte à bec du Deuxième concerto brandebourgeois de Bach, devient soliste de jazz, ou embrasse la tristesse du blues. Les musiciens de Louisiane ont alors du désespoir plein la trompette, et le triste appel du clairon n’est plus qu’un souvenir mélancolique.

C’est le deuil de l’entrain que porte la trompette. Celui des va-t’en-guerre morbides, certes. Surtout celui du musicien qui n’a pas appris à jouer la charge, mais connaît le branle-bas et la soupe. Cette joie se retrouve dans l’énergie des improvisations, lors desquelles la trompette devient soliste pour chanter l’espoir à tue-tête.

 

Mais pour tout dire, celles que je préfère encore se dégustent en farandoles: les trompettes de la mort.