Abécédaire

 

 
Rivage n° 1
 
 


Pierre-Élie Pichot

05/05/2018

 

 

« Alpage », « ombrage », « pâturage » : quand il ne désigne pas un geste technique, « -age » est souvent pittoresque. « Rivage » ne fait pas exception : ici naquit Cythérée, ici Énée abandonna Didon, et Thésée Ariane. On voit au loin les bâtiments altiers du Lorrain, et près de nous, les humbles pêcheurs d’Eugène Boudin. La poésie l’a bien compris : le « rivage » apparaît plusieurs fois sous la plume de Baudelaire ; la « plage », aux quartiers de latinité pourtant plus anciens et plus sûrs, pas une seule.

Faut-il donc que plage et rivage « fraternisent », comme naguère la vache et la génisse ? Non, car ce ne sont pas des frères. La finale en « -age » de la plage n’est qu’homophone avec le suffixe. Surtout, les connotations divergent. Les « rivages bretons » sont sauvages, inhospitaliers, tout au contraire des « plages bretonnes » convoitées par les vacanciers : Paimpol n’a pas de plage, mais une falaise ; c’est aussi de la falaise au rivage de Penmarch que Tristan voit se noyer son Iseut.

Le véritable frère du rivage, son faux-jumeau, c’est la rive : les deux sont interchangeables dans tous leurs emplois, au grand étonnement des allophones. Les dictionnaires juridiques nous assurent qu’on parle de rive pour une eau douce, et de rivage pour une eau salée. Il est si facile, pour le droit, d’ignorer l’usage commun… Ainsi donc, le lac sur le « rivage » duquel Lamartine s’assoit et chante, ce serait un lac salé ?

Rivage : Saussure pourrait-il expliquer la création et la persistance, huit siècles durant, de ce mot sémantiquement redondant ? À quel biotope propice doit-on la sauvegarde du rivage ? Sans doute à celui des dictionnaires de rimes : orage, nuage, naufrage.

 

 

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