Abécédaire

 

 
Modèle
 
 


Éva Avian

03/03/2018

 

 

1. À la question « quels ont été vos modèles ? », il n’est pas humble qu’un artiste reste coi. Pour autant, aujourd’hui, il doit bien faire entendre qu’il n’imite personne.

 

2. Des top-models, on dit qu’il ne faut pas chercher à leur ressembler, que leurs mensurations ne sont pas « humaines ». Ce sont des beautés qu’on admire, qu’on mettrait bien à son bras, mais avec qui on peine à s’imaginer établir une vraie familiarité. Le modèle peut sembler un peu froid.
(Leur préférer les modèles qui posent en écoles de peinture, dont on dit qu’ils sont « comme nous»).

 

3. Il apparaît rapidement, dès l’école primaire, qu’être un enfant modèle n’est bien vu que par les adultes – et encore, il ne faut pas être bêcheur. On trouve donc à imiter ailleurs, les places au dernier rang se vendent chèrement (c’est ainsi que le prof détecte la myopie d’un ou deux qui se mettent à plisser les yeux) et l’on se fait violence pour brusquer un peu la personne douce que l’on est à la maison. Plus tard, des camarades influents décideront que la vraie rébellion, c’est le premier rang. Ça permettra de suivre sans avoir l’air trop sage.

Ce n’est pas Camille ni Madeleine, mais Sophie, la préférée, pour les poissons coupés, la poupée fondue au soleil, parce qu’on a pitié à la voir repartir avec sa marâtre de malheur.

Pourtant, lorsque la mère d’une amie avait tenu à lui faire réécrire le premier paragraphe des Petites Filles modèles en remplaçant les prénoms des deux héroïnes par le sien et celui de sa sœur, pour tourner le tout à la blague, car ces deux-là se disputaient sans cesse, ça ne m’avait pas paru très drôle, un peu bête. J’aurais préféré qu’on les laisse où elles étaient, trop bonnes, les-chères-petites, cédant pourtant quelques fois à la colère, dans les lectures qu’on m’en faisait.

 

4. Il me semble parfois que mes amis et moi avons dépassé nos modèles, non en perfection, mais en âge. Soudain, les héros de fiction sont plus jeunes que nous et leurs vies ne coïncident pas avec les nôtres, sans que cela puisse s’évaluer en termes de « quantité d’expérience ». Grands-parents, parents, aînés de la fratrie : on pensait qu’on aurait franchi les mêmes étapes à peu près au même moment, sans y penser, on y est et rien ne colle. Le plus étonnant, c’est de se trouver ainsi avec ses modèles derrière soi sans être pour autant parvenu jusqu’à eux.

J’ignore si les générations précédentes ont fait le même constat (cette pensée de l’exception ne serait alors qu’un modèle courant), ou encore si mon usage du « nous » est abusif : mes amis et moi, c’est bien peu de monde.

Ça s’est fait tout seul, sans qu’on se soit crus rebelles, certainement pas modèles, peut-être un peu artistes, dans notre façon d’imiter sans reproduire, de trahir sans mépriser : imitation bien comprise, peut-être proche de celle que les « classiques » nommaient « création ».