Abécédaire

 

 
Illusion
 
 


Mathilde Faugère

03/02/2018

 

 

Alors certes, il y a l’illusion heureuse, celle que Corneille appelait comique, qui se donne comme telle, résout tous les problèmes, et nous fait passer dans le monde de la fiction – quelque part entre les deux L du mot – et de l’autre côté du miroir. Je la chante, cette illusion, j’aimerais la célébrer. C’est aussi l’illusion heureuse, qui répare un moment, ce qui est trop réel. Toutes ces illusions bénies, dont je me berce : je chausse des lunettes pour voir autre chose, ou d’une autre couleur.

Mais mes illusions, celles qui sont miennes, et non plus l’Illusion, mes illusions perdues, et perpétuellement recommencées, elles sont autres. Ce sont mes lunettes que je crois transparentes, le mur de verre que je ne vois pas. C’est, tout spécialement, l’illusion de comprendre, de vraiment voir, finement, en nuances. Parfois, je crois que je comprends, les gens, les choses, que je connais la conduite à tenir.

Alors, souvent, quelqu’un d’autre me prête ses lunettes, et, soudain je me rends compte que je n’avais absolument rien compris, à quel point rien n’était si clair. Me voilà désillusionnée, que cela soit en bien ou en mal, et la douleur est là, et le bouleversement de l’injustice de mes lunettes.

« You know nothing, Jon Snow ». « Tu ne sais rien ». J’essaie de m’en débarrasser pourtant, de savoir que je les ai, ces illusions, ou qu’elles m’ont plutôt, qu’elles me possèdent, qu’elles me domestiquent, moi et ma réalité. Mais hélas.

La réalité cruelle de l’illusion m’apparaît et ses conséquences. « Tu ne sais rien ». Et tu ferais bien de te le rappeler… Je ne suis qu’une visionnaire, qui agit avec ses visions et se doit de le savoir, toujours, encore, et le réapprendre, et désapprendre le reste, sous peine de se retrouver avec, à ses pieds, des miroirs brisés, ou, plus grave, des autres.

Elles me collent à la peau, je les ai dans la peau. Toutes.