Abécédaire

 

 
Croyance
 
 


Tiphaine Pocquet

04/11/2017

 

 

Mot plus bigarré qu’il ne semble, trempe dans diverses teintures.

Moins assurée que la foi, la croyance est peut-être plus partageable ; moins partagée que l’opinion, elle est plus assurée que cette dernière ; mais moins partageable et moins assurée que la science indubitablement. Et lorsque Kant assure qu’il y a pourtant bien de la croyance dans la foi, la science et dans l’opinion, à divers degrés, je perds toute conviction dans la possibilité de définir le mot « croyance ». On peut croire en effet que deux et deux sont quatre comme Dom Juan, croire au moine bourru et à la sorcellerie, croire en Dieu, croire en soi et croire qu’il fera beau le lendemain.

Cette diversité s’explique peut-être par la vieillesse du mot « croyance » qui remonte au XIe siècle sous la forme ancienne de « créance », elle-même issue du latin credentia et credere. On croit depuis longtemps visiblement et dans tous les sens. J’aime particulièrement le sens du mot chez Corneille, proche de la confiance, car il s’agit de gagner la croyance et l’appui dans Sertorius, de donner croyance à un discours dans Le Cid.

Mais je quitte bientôt les dictionnaires et laisse mon esprit rêver autour de cette confiance humaine. Revient à moi cet étrange substantif de « crédence » qui s’origine dans le même credere que croyance. La crédence désigne d’abord une table sur laquelle on goûtait les plats pour vérifier qu’ils ne contenaient pas de poison avant de les servir aux grands. « Faire crédance » au Moyen Âge signifie donc goûter les aliments ou les boissons avant de les servir. Étonnante croyance qui use des sens. On goûte pour donner confiance, rassurer et sauver (aux frais du gouteur certes…). La croyance repose alors sur un engagement des sujets, exposant leur corps pour que d’autres puissent faire bonne chère sans risquer leur vie.

Si l’on continue à tirer le fil de ce petit mot, on découvre que la crédence va ensuite désigner toute table ou buffet qui reçoit des mets ou de la vaisselle. Visiblement la crédence est support, on s’y appuie. Elle garde un sens spécifique en liturgie pour désigner la table sur laquelle on pose les objets religieux nécessaires pour célébrer l’eucharistie. Elle implique donc souvent les corps, (celui du goûteur, comme celui de l’officiant), elle participe au bon déroulé d’un repas et tisse un lien de vie et de mort entre les participants.

Et la croyance dans tout ça, me direz-vous ? Il n’est peut-être pas anodin que dans une pièce comme Dom Juan de Molière, où l’on interroge ce qu’il faut croire dans le monde, tout tourne autour d’un festin, du retour d’un mort et de la confiance systématiquement brisée par Dom Juan. Sganarelle aurait-il raison ? Il y a des choses à croire dans ce monde.  

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