Abécédaire

 

 
Pouvoir n° 5
 
 


H. Merlin-Kajman

23/04/2016

Le pouvoir distribue les êtres, semble-t-il : il y a ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas. Bien sûr, cette frontière est mouvante (il y en a qui, face à certains n’en n’ont aucun mais face à d’autres, en ont, et parfois même beaucoup), réversible (innombrables les fables, les figures, les concepts qui explorent ces retournements), poreuse (pouvoir, aucun être humain n’en a vraiment aucune expérience). Mais ces mouvements et ces complexités n’en rendent que plus clair un fait brut : certains sont vraiment tout en bas ou tout en dehors : sans aucune espèce de pouvoir ni de possible d’aucune sorte.

On pourra toujours contester ce genre de constat, trop facile, trop confortable même, dans toutes sortes de situations. On aura envie d’objecter l’adage ancien qui intime un sursaut : aide-toi, le ciel t’aidera. Ou le mot plus frémissant d’espoir : yes we can. Ou encore : « Vous n’avez rien à perdre, à part vos chaînes ». Ou bien l’ardente certitude que d’autres paramètres (sentiments, relations, échanges) disposent les êtres selon une géographie moins tranchées, plus floue, plus prometteuse ou du moins plus incertaine et fluctuante ; bref, que les rapports de domination ne résument pas le tout des rapports humains. Et l’on aura raison.

Mais dans toutes sortes de cas, ne pas avoir de pouvoir, n’avoir aucun pouvoir s’expérimente et s’éprouve de la façon la plus brutale, la plus concrète, la plus violente. Aucune spéculation, aucune sophistication conceptuelle ne peut atténuer la chose. C’est tout simplement , et nu.

Dira-t-on que ce n’est pas exactement le pouvoir qui est en cause, mais la force ? Si vous voulez ! Mais celui qui le subit ou la subit n’a pas l’espace mental ni physique pour penser de telles subtilités.

Dira-t-on que subir est un critère trop vague puisqu’on peut subir le déchaînement d’un cataclysme naturel, l’appétit d’un prédateur animal ou plus simplement, plus incontournablement, la mort, et qu’il arrive même qu’on les attribue à la puissance de dieux variés ?

J’en conclurai plutôt que l’impuissance infligée à des hommes par des hommes ajoute à ces terreurs l’énigme encore plus terrifiante de l’injustice et de la cruauté. Et puisque je n’ai aucun dieu à fléchir, puisque supplier n’est que l’arme impuissante des plus démunis avant le silence, je préfère opter pour la colère.

Oui, colère et indignation. Ces passions éthiques – de vieilles compagnes ! – nous invitent, où que nous soyons, à tracer des lignes de puissance qui fassent vaciller la force nue ou le pouvoir strictement hostile. La tâche est obscure, souvent désespérée, toujours difficile et incertaine, car elle prend elle-même le pouvoir à bras-le-corps en quelque sorte : de quoi légitimement hésiter ! Mais on ne peut pas toujours faire comme si on ne voyait rien.

Powered by : www.eponim.com - Graphisme : Thierry Mouraux   - Mentions légales                                                                                         Administration