Abécédaire

 
Hier n°2
 
 


Noémie Bys et Boris Verberk

30/01/2016

Hier n’existera jamais qu’aujourd’hui. Il m’accompagne, tendre animal de compagnie sur lequel je jette un regard mélancolique. Quel bel ami, si proche et pourtant si loin, avec lequel je ne pourrai jamais rien échanger qu’une caresse que je me convaincs être un réconfort pour nous deux. Hier se porte bien mieux depuis que j’y pense.

Je le laisse ronronner sur mes genoux, et souvent il m’empêche de me lever. Il pèse de tout ce qui nous sépare. Ou peut-être de tout le lien que je ne peux faire avec le reste. Alors puisque je vais passer ma vie avec lui, le meilleur ami de l’Homme, je vais le dresser. Va chercher. Et je vois le soleil d’hier briller demain, de la même façon. Demain aura tant en commun avec hier, qu’importent les différences ?

Hier dépoussiéré de nostalgie verra sa gueule un peu moins plate. Obstrué par de bons sentiments, hier se niche derrière la tête comme l’hypocrisie d’une amie qui ne veut pas s’en aller. Un peu comme une chanson de Michel Legrand. Comment ? Hier se voudrait alors une belle chanson d’amour. Il tente de s’imposer comme un poème empirique, imitant Narcisse, et recompose l’histoire avec une odeur de rose.

Parfois, hier grogne et aboie. Je l’entends sur le seuil montrer les crocs à un passant, un colporteur, un parent – que sais-je ? Je ne regarde jamais. Si je suis content d’avoir hier, c’est pour ne pas avoir à toujours regarder derrière moi, derrière la porte. Je sais sur quoi je m’appuie.

Mais alors que je me sens m’enfoncer dans un merveilleux confort, un doute survient. J’ouvre les yeux, et hier est grand. Domestique et le poil luisant, certes, mais surtout les dents longues. Je cours, petite souris, vers les demains qui deviendront hier, sans qu’aujourd’hui ait plus d’importance – a-t-il jamais existé ?

Dans ma course je jette un œil derrière moi. Enfin. Et il n’y a rien. Plus d’hier, plus de demain. Plus de mur, de fauteuil, de confort. Une biche saute à l’instant vague, comme sur une corde raide. Ce sont mes pas qui oscillent entre le trop tard et le trop tôt, et l'animal sauvage accompagne le mouvement, cette ligne atemporelle qui se doit pourtant de s'habiller de conjugaisons. Vulnérable, ça avance, funambule sur le temps.