Abécédaire

 

 
Culot
 
 


Anne-Laure Thumerel

14/11/2015

 

Le culot, on en a ou on n'en a pas. Ça arrive, un jour, on ne sait pas pourquoi, puis ça repart, on ne sait pas comment. On n'est pas éternellement culotté. Parfois, on est le sans-culot. Catalyseur de l'audace, art de pousser le bouchon un peu trop loin, le culot semble être une force surprenante de transgression qui permet de dire ou faire ce que jamais par ailleurs on ne se serait permis de dire ou faire. On se mouille, on ose, on y va fort, nous dit-on. Et on se fait remarquer.

Le culotté est un être de spectacle : son verbe, son geste font sensation, suscitent commentaires. Certains l'admirent, d'autres le blâment. Cet audacieux paré d'effronterie est en première ligne : armé de son culot comme d'un bouclier pour affronter les obstacles du monde extérieur, il se risque, il s'avance. Pour lui, ça passe ou ça casse. Acteur principal de son coup de théâtre, il est pourtant le premier spectateur du suspens qu'il créé. Car le culot est un récit qu'on se fait à soi-même et qu'on installe dans le réel. Il n'y a aucune certitude que cela fonctionne. « Agissez comme s'il était impossible d'échouer » disait Winston Churchill. Là est peut-être le « truc » ou le trucage qu'on opère sur soi-même quand on a du culot. En effet, le culot tient peut-être dans le « comme si », dans cette fiction qui permet de se convaincre soi-même de sa propre réussite, de croire au triomphe de soi comme à une nécessité plutôt que comme à une possibilité.

Lapsus de la volonté de puissance, le culot est l'écho bruyant dans le monde extérieur du désir intérieur de conquête d'un espace de liberté dans les conditions contraignantes du réel. Sublime ou grotesque, comme tout ce qui outrepasse les limites et les conventions habituelles, le culotté, convaincu provisoirement de son invincibilité, met au jour le rapport de force qui existe entre les différentes volontés de puissance en présence et tente de prendre le dessus. Franc-tireur, agissant de manière isolée et indépendante pour lui-même, il mène alors un combat solitaire pour la liberté, quand les sans-culot, eux, peut-être, sont engagés dans la conquête et la défense d'espaces de liberté partagés par tous...