Juste une fable n° 1

 

Trope n° 1

 

 




Barbe Bleue

Helio Milner

14/09/2011

Le monde est trop confus pour une fable.

Mais j’invente un enfant à qui lire demain le conte de Barbe-bleue, ne manquant pas de lui avouer à la fin que je n’ai jamais, jamais compris pourquoi sa barbe était bleue.

- Essayons d’autres couleurs, proposerai-je.

« Une barbe rousse comme un coq ou la queue d’un renard, comme le bouc d’un démon, lui conviendrait bien mieux ».

Nous penserons alors au père de son ami Harold, roux des pieds à la tête, qui pêche le saumon argenté en Ecosse, et nous rirons longtemps à l’imaginer en Barbe-bleue, un grand coutelas à la main au pied d’un escalier criant : « Descendras-tu que je t’étripe ? ».

Nous passerons en revue toutes les barbes possibles. Mais avec chacune d’elles, c’est évident, nous aurions pu faire une grave erreur judiciaire.

Nous ne changerons rien à ses yeux pour la même raison, ni à ses sourcils, ni à son nez ou ses cheveux. D’ailleurs, très sagement, le conte n’en dit rien.

            Nous reviendrons alors aux barbes impossibles.

- Il fallait qu’elle fût rouge, dira l’enfant, rouge comme le sang.

- Rouge comme le sang ! Mais quelle jeune fille eût été assez stupide pour l’épouser ? Avec une barbe rouge, elle se fût méfiée et se fût écriée comme toi que cette barbe était rouge, rouge comme le sang !

Nous essaierons une barbe jaune ; mais il arrive que des hommes aient des barbes blondes si usées par le temps qu’elles finissent par en paraître jaunes absolument.

- Verte, pensera l’enfant triomphalement, verte comme un martien, ou comme un vieux dieu de la mer croupissant dans la vase !

- Comment veux-tu, dirai-je à l’enfant, qu’une jeune fille puisse aimer, aimer vraiment, ou croire aimer, un homme qui semblerait brouter ?

- L’aimait-elle ? me dira l’enfant. N’a-t-elle pas plutôt aimé ses châteaux, sa richesse, sa puissance ?

Alors, nous resterons songeurs un long moment.

Je demanderai à l’enfant s’il aurait lui aussi ouvert la porte du placard.

- Toutes les clés peuvent être sorcières, affirmera-t-il sérieusement. Et toutes les paroles peuvent être des pièges.

- Niaiserie ! répondrai-je. Niaiserie ! 

Et, croyez-moi, je réussirai à lui montrer demain que la confiance est belle, et que la curiosité ne l’est pas moins.

 Et puis viendra l’heure d’arrêter notre conversation. Nous n’aurons pas compris pourquoi la barbe était bleue. Mais dorénavant, nous saurons qu’elle ne pouvait pas être autrement, qu’elle est mystérieusement bleue comme le reflet des ailes d’un corbeau et l’eau noire d’un lac dans le crépuscule, et sans doute beaucoup d’autres choses qui deviennent bleues par moment sans qu’on y prenne garde, beaucoup de choses sauf les barbes précisément.

 Et surtout, nous nous dirons que nous sommes bien contents que les frères de la soeur Anne soient arrivés à temps, car il fait bon croire que la Barbe bleue était un ogre comme on n’en rencontre plus,

Oh non, plus du tout.

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