Abécédaire

 

 
Zoo
 
 


Hélène Merlin Kajman

16/07/2016



J’aime les zoos.

J’imagine que tout le monde sait ce que c’est, un zoo. Où pourrez-vous voir un éléphant, une girafe, une mygale, un ouistiti et un orang-outan sous le ciel de Paris ? Étendez cette liste au maximum, et vous avez un zoo. En fait, il n’est même pas nécessaire de l’étendre beaucoup : ajoutez-y seulement deux ou trois autres animaux venus d’autres latitudes, et si vous les trouvez rassemblés en un même lieu payant et pas très spacieux, vous obtenez un zoo.

« Zoo », c’est une abréviation, apparue en 1895, de « jardin zoologique » — c’était vraiment trop long. On disait « ménagerie » autrefois. Je ne vais pas faire la savante, mais de l’une à l’autre, la différence se comprend sans peine. La ménagerie appartient encore à l’espace domestique : les animaux, même les plus lointains, y sont chez moi. En parlant de mon désordre privé sur lequel règneraient des chats, des chiens et quelques perroquets, je pourrais m’exclamer « quelle ménagerie ici ! ». Le zoo, lui, fait entrer les animaux exotiques au musée, un musée de plein air avec quelques arbres, quelques fleurs, des allées et des pelouses vertes et quelques icebergs de carton-pâte, quelques faux déserts de Namibie ; il les range, il les classe et les exhibe comme objets de savoir et de voyeurisme, offerts à l’indiscrète flânerie des badauds : couples rêveurs, savants nonchalants (pourquoi pas ?), familles bouche bée ou classes bavardes vérifiant sur place deux ou trois détails de leur manuel qui depuis belle lurette ne s’appelle plus de zoologie.

Oui, mais quand même, j’aime bien ça, même son odeur parfois très âcre et un peu dégoûtante. J’aime la curiosité passionnée des très petits enfants, la subtile gradation de leurs émotions quand le gorille semble soudain les regarder et que les singes s’épouillent ou se mordent ou se coursent brièvement, leur gravité quand le boa détend lentement ses anneaux, leur sursaut quand le tigre rugit, leur joie excitée quand la panthère noire s’agite devant les quartiers de viande qu’on vient de lui jeter.

Je dois l’avouer, je ne réfléchis pas trop à la neurasthénie de tous ces prisonniers enfermés dans la fosse aux ours, la volière, l’aquarium et le vivarium, la grande mare presque belle où baignent péniblement phoques et otaries, l’enclos faussement vaste où les loups faméliques restent longtemps immobiles et moroses, où les éléphants font trois pas solitaires et les kangourous quelques sauts hagards et perplexes. Je ne pense pas à la perte de leur sauvagerie et leurs pannes de la libido, ni à l’obstination lancinante avec laquelle certains tournent et retournent comme le font, très fameux, les lions en cage, fauves en colère, fauves en détresse qui se souviennent et se souviennent encore en faisant leurs tours sempiternels sous nos yeux fascinés.

Je n’y pense pas. Toutefois, c’est évident, je suis prête à signer : Non au zoo. Un zoo, ce n’est pas très reluisant. Quant à faire, je dois l’avouer, je préfère mille fois le cirque (ses dompteurs et sa ménagerie ambulante en son désordre bien plus vivant, bien plus serré, bien plus pelé, avec ses lamas ou ses hippopotames qui ne servent à rien d’autre qu’à faire durer le spectacle entre le lion terrible qui au cirque ouvre grand sa gueule pour que l’homme mette sa tête dedans, les singes savants, les poneys emplumés et caracolant, ou les vaillants bouquetins des Alpes qui escaladeront sans broncher leur pyramide de tabourets sous les cris d’effroi du public).

Oui. Mais voilà, j’aime quand même les zoos.

Du reste, il y a quelque chose qui fait plaisir. Un jour, c’était en 1984, on a trouvé un crocodile dans les égouts de Paris. En principe, son sort était scellé. Mais voilà : dans son cas, nos deux intérêts se sont assez heureusement rencontrés (on appelle ça une alliance objective). Car c’est au zoo qu’on l’a mis.

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