Exergue n° 24

 

« [D]ès son acte de naissance, [l’hominien] déterritorialise sa patte antérieure, il l’arrache à la terre pour en faire une main, et la reterritorialise sur des branches et des outils. Un bâton à son tour est une branche déterritorialisée. Il faut voir comme chacun, à tout âge, dans les plus petites choses comme dans les plus grandes épreuves, se cherche un territoire, supporte ou mène des déterritorialisations, et se reterritorialise presque sur n’importe quoi, souvenir, fétiche ou rêve. Les ritournelles expriment ces dynamismes puissants : ma cabane au Canada... adieu je pars..., oui c’est moi il fallait que je revienne... On ne peut même pas dire ce qui est premier, et tout territoire suppose peut-être une déterritorialisation préalable ; ou bien tout est en même temps. Les champs sociaux sont d’inextricables noeuds où les trois mouvements se mêlent [...] »

Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991, p. 66.

 
 


Hélène Merlin-Kajman

24/02/2012

 

J’aime penser que la littérature est soeur des ritournelles, que la main qui écrit se souvient de l’arrachement de la patte antérieure, que la langue « littéraire » abrite la plainte, le cri, les éclats de rire, les appels vocaux dont le langage articulé s’est détaché.

Apparaissant sous différents noms, la littérature n’aurait pas, dans cette hypothèse, de date d’invention. On pourrait cependant la limiter en extension : ce qui la distinguerait du mythe sans confusion possible par exemple, ce serait qu’en elle, aucun territoire ne se représenterait de façon stable, aucun groupe humain n’affirmerait sa clôture.

Car en entremêlant trois mouvements – départ, retour, séjour – la ritournelle bégaie l’aberration d’une origine très peu originelle, raconte les tribulations humaines pour s’en dépêtrer. C’est une scie, avec ses malheurs et ses bonheurs. C’est une consolation, une espérance. Nulle identité, nulle structure, nulle substance ne s’y annonce.

Il arrive souvent que les champs sociaux se figent autour d’un pôle : le départ, et c’est la Conquête de l’Ouest ; le retour, et c’est la Terre Sainte ; le séjour, et ce sont les Nations. Rappeler le trait transitionnel de la littérature et le tremblé du langage, ce serait empêcher que les seuils ne se figent en schèmes mythiques.

Powered by : www.eponim.com - Graphisme : Thierry Mouraux   - Mentions légales                                                                                         Administration