Séminaire

Séance du 21 mai 2012 

 

 Préambule

Le 21 mai 2012, Pascale Mounier est venue nous parler du séminaire qu’elle a tenu pendant deux ans avec l’historienne Monica Martina à l’université Lyon 2 intitulé « Histoire et fiction : la fabrique du réel ». Pour point de départ : les indices contemporains de passages et d’échanges toujours plus serrés entre histoire et fiction. Côté histoire, en effet, la science de l’histoire semble aujourd’hui « tentée d’expérimenter les procédés de la fiction », comme le souligne l’historien Patrick Boucheron, ce qui n’est pas sans susciter des réactions de méfiance. Côté fictions, toujours plus nombreux sont ces romans, ces films, qui s’emparent des méthodes des historiens, imitent leur style.

Que doit-on en penser ? Comment la fiction contribue-t-elle à produire « le sentiment de l’existence d’une réalité attestée » (P. Mounier) et quel bénéfice en attendre pour la science historique ? Comment « faire croire » peut-il aider l’histoire ? On voit bien, par exemple, le pouvoir qu’ont les fictions de solliciter l’imagination, et le plaisir qu’il peut y avoir par ce moyen à pénétrer dans l’intériorité des personnages publics (S. Burette), mais aussi le pouvoir d’ouvrir à une vision générale, comme le disait l’historienne Laurence Crocq, louant l’intérêt des romans historiques pour introduire à l’étude d’une question ou d’une période (N. Oddo). Mais comment le lecteur/spectateur « fixe-t-il la frontière » entre histoire et fiction ? » Doit-on s’inquiéter de ce que « l’histoire-divertissement soit aujourd’hui la principale source de connaissance prétendument historique pour la majeure partie de la population » (A. Beevor) ? Est-ce le « rapport au réel » qui se trouve « fragilisé » (P. Mounier) ?

Toutes ces questions sont belles et complexes, et réclament d’infinies nuances. Par exemple, n’y a-t-il pas toute une gamme de possibilités entre roman et histoire – comme le montre le genre des mémoires aux 16e et 17e siècles, où il ne s’agit ni de faire œuvre d’historien ni d’écrire un roman ; comme l’illustrent aussi tous ces moments où, « en littéraire », un professeur donne des éléments du contexte qui serviront à l’analyse d’un texte, conscient que chacun des mots pose problème, mais ne se sentant pas historien pour autant (H. Merlin-Kajman). Ne faut-il pas réfléchir en termes d’« interprétation » ?

D’autant que, du côté des historiens, la réponse est claire : il s’agit de rendre intelligible le passé, mais pas pour autant de fabriquer du réel (H. Merlin-Kajman). Si quelque chose se fabrique, c’est donc du côté de la littérature, de son « hybridité » (P. Mounier). Mais si l’on cherche, dans la littérature, ce qui nous conduit au réel, ne risque-t-on pas de quitter ce qui fait en propre la littérature (S. Nancy) ? Peut-être. Mais  peut-être découvrirons-nous au passage d’autres chemins « transitionnels ».

S. N.

Pascale Mounier est maître de conférences à l’Université de Caen, s’intéresse entre autres aux rapports entre histoire et fiction, toutes époques confondues. Après avoir co-organisé le colloque « Imagination et Histoire. Enjeux contemporains » (Lyon, 2012 ; actes à paraître, dir. M. Devigne, M. Martinat, P. Mounier et M. Panter, elle anime avec Monica Martinat et Marco Sirtori depuis 2013 le séminaire itinérant (Lyon-Bergame-Caen) « Histoire et Fiction : la fabrique du réel », qui prend la suite du séminaire « Le récit entre fiction et réalité. Confusion de genres » (2010-2012 ; publication partielle des interventions :Le Récit entre fiction et réalité. Confusion de genres, Carnets du Larhra, dir. M. Martinat et P. Mounier, n° 2, 2013).

 

 

 

 

 

Rencontre avec Pascale Mounier

Littérature et Histoire : la « fabrique du réel » ?

 

 

 
 

18/01/2014

 

 

Présents : Lucie Bonnelle, Stéphanie Burette, Mathias Ecoeur, Mathilde Faugère, Catherine Gobert, Virginie Huguenin, Elisabeth Jacquet, David Kajman, Quentin Lexxvant (?), Florence Magnot, Hélène Merlin-Kajman, Emanuelle Mortgat-Longuet, Sarah Mouline, Sarah Nancy, Nancy Oddo, Tiphaine Pocquet, Denis Roche, Brice Tabeling.

           

Plan de la séance :

00 : 00 : 39 Exposé de Pascale Mounier

00 : 13 : 59 Première partie : La configuration actuelle des rapports entre histoire et fiction sur le terrain du récit

00 : 52 : 18 Deuxième partie : Médiatisation de ces productions et usages publics de l’histoire.

01 : 27 : 30 Question d’Hélène Merlin-Kajman : Vous vous demandez, à propos des Disparus, s’il s’agit d’un roman ou d’un texte historique. Mais ces catégories ne sont-elles pas trop antithétiques ?  Je pense aux Mémoires, aux XVIe et XVIIe siècles : leurs auteurs prétendent dire la vérité sur ce qu’ils ont vécu, mais ne se pensent pas comme historiens pour autant. Ne faudrait-il pas poser la question du métier ? Et introduire aussi la notion d’interprétation : par exemple, quand un enseignant donne des éléments de contexte en vue de l’analyse d’une œuvre littéraire, ce qu’il fait ne s’apparente pas à un roman. Il s’agit pour lui d’aider à construire une interprétation.

01 : 43 : 39 Question de Stéphanie Burette : Vous mettez en avant la capacité de la fiction à susciter l’imagination. Je vous rejoins complètement sur ce point : par le biais de l’imagination, on a accès à l’intériorité des personnages. Ce qui a plu dans les films biographiques récents, n’est-ce pas cet accès non seulement à des faits, mais aux tourments d’un personnage politique, cet accès au personnage historique comme être humain ?

01 : 47 : 00 Question de Nancy Oddo : Ne peut-on pas penser que la fiction donne accès non seulement à du particulier mais à une perspective générale ? Je pense à ce que nous disait l’historienne Laurence Croq : elle partageait une certaine méfiance envers la fiction, mais en même temps, nous disait qu’elle conseillait à ses étudiants de lire des romans pour approcher la période qu’ils étudiaient.

01 : 50 : 10 Question de Sarah Nancy : Je me demande quelle place est faite à la littérature dans votre séminaire. Car finalement, réfléchit-on sur ce que la littérature a en propre quand on réfléchit sur  ce qui en elle touche le réel, sur sa fonction performative, sur elle comme outil vers un réel historique, ou sur sa capacité à susciter des sensations fortes qui tendent vers un savoir historique ?

01 : 54 : 34 Question de Denis Roche : Quelle différence feriez-vous entre le film de Rosellini La Prise du pouvoir par Louis XIV et le récent film sur Claude François ? Est-ce qu’il suffit qu’on soit dans un récit de l’histoire d’une personne qui a existé pour que ce soit un récit historique ?

01 : 58 : 25 Question de Virginie Huguenin : Vous disiez que la définition de la littérature comme ce qui cherche à atteindre le réel est problématique, et je suis d’accord. Ne peut-on pas alors au moins tabler sur une chose, c’est que s’il y a cette production de fiction, c’est qu’il y a du manque, que la fiction va essayer de combler ?

02 : 00 : 50 Question d’Hélène Merlin-Kajman : Le titre même du séminaire me pose problème. Dans l’opération consistant à rendre intelligible le passé, à établir des rapports de cause à effet, y a-t-il du réel qui se fabrique ?

           

           

Auteurs et œuvres cités dans la discussion :

           

Judith Lyon-Caen et Dinah Ribard, L’Historien et la littérature, Paris, La Découverte.

Carlo Ginzburg, Le Fil et les traces. Vrai, faux, fictif, trad. M. Rueff, Paris, Verdier, 2010.

Jonathan Littell, Les Bienveillantes, Paris, Gallimard, 2006.

Yannick Haenel, Jan Karski, Paris, Gallimard, 2009.

Claude Lanzmann, Shoah, 1985.

Savoirs de la littérature, Revue Annales, histoire, sciences sociales n°2-2010.

L’histoire saisie par la fiction, Le Débat n° 165, mai-août 2011.

Pierre Nora

Anthony Beevor

Lisa Roscioni

Alain Corbin, Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d’un inconnu (1798-1876), Paris, Flammarion, Champs Histoire, 2008.

Alain Corbin, Les Conférences de Morterolles, hiver 1895-1896. À l’écoute d’un monde perdu, Paris, Flammarion, 2011.

Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel, Paris, Verdier, 2009.

Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves.

Fred Vargas, Pars vite et reviens tard, Paris, Viviane Hamy, 2001.

Laetitia Bourgeois, Les Communautés rurales du Velay face aux crises de la fin du Moyen Âge, Thèse de doctorat soutenue à l’université de Lyon en 1998.

Marion Sigaut, Mourir à l’ombre des Lumières, l’énigme Damiens, Jacqueline Chambon éditions, 2010.

Marion Sigaut, La Marche rouge, les enfants perdus de l’Hôpital général, Paris, Jacqueline Chambon éditions, 2008.

Javier Cercas, Les soldats de Salamine, Arles, Actes Sud, 2002.

Laurent Pinet, HHhH, Paris, Grasset, 2010.

Yannick Haenel, Jan Karski, Paris, Gallimard, 2009.

Daniel Mendelsohn, Les Disparus, Paris, Flammarion, 2007.

Isabelle Clarke et Daniel Costelle, Apocalypse : la Deuxième Guerre Mondiale, première diffusion : septembre 2009.

William Karell, Opération lune, première diffusion : 1er avril 2002.

Steven Spielberg, Amistad, 1997.

Natalie Zemon Davis, Slaves on Screen: Film and Historical Vision, Cambridge, Harvard University Press, 2000.

Daniel Vigne, Le Retour de Martin Guerre, 1982.

Christian Jouhaud, Dinah Ribard, Nicolas Schapira, Histoire, littérature, témoignage : Écrire les malheurs du temps, Paris, Gallimard, 2009.

Quentin Tarentino, Inglorious Bastard, 2009.

Marguerite de Valois, Mémoires.

 

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