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André Bayrou, Brice Tabeling

 Septembre-octobre 2015

 

Par extraordinaire

« La rencontre a lieu par extraordinaire, à un cheveu près de la séparation et à même la séparation, l’abrupt ». Dans un article issu d’une rencontre avec Transitions, Gérald Sfez met au jour, à partir de la pensée de Jean-François Lyotard, une figure qui, au cœur de la radicalité du différend, aménage néanmoins un espace commun, une zone de rencontre qu’on nommerait littéraire. Cet espace commun, nous dit-il, est « extraordinaire » : il est à la limite de son impossibilité et déjà impossible. Nul drame pourtant : prononcer l’aporie, ce n’est pas s’y abandonner, c’est au contraire se donner l’occasion de la soutenir, d’en parler et de l’écrire.

Notre rentrée à Transitions, peut-on la placer sous le signe de cet espace commun trouvé à même son impossibilité ? Les trois rencontres que nous publions témoignent chacune de ce souci de trouver un lieu de partage là où il paraît le plus compromis. A travers le différend lyotardien donc, mais encore, avec Jean-Nicolas Illouz, au cœur de l’abrupt de l’ironie mallarméenne. Marie-Pascale Chevance-Bertin évoque, quant à elle, l’importance de la disposition d’accueil à partir de son expérience de psychanalyste mais sans s’y limiter. Au centre de son propos se trouve cette scène limite et pourtant définitoire : l’accueil se joue (aussi) dans la rencontre avec un « tigre ».

Le projet de nos saynètes – commentaires transitionnels de textes littéraires – s’est, dès le départ, formulé à travers le désir de faire de ces œuvres un espace civil de rencontre. Les trois lectures proposées depuis la rentrée (Clélie par Mathilde FaugèreMadame Bovary par Hélène Merlin-Kajman et Le Misanthrope par Brice Tabeling) en sont l’illustration. Toutes trois font de la reconnaissance de l’abrupt émotionnel mis en jeu par ces textes le point de départ de leur partage possible.

Dans l’écriture hebdomadaire de l'Abécédaire, le risque de la séparation se présente sous la forme condensée d’un mot et de l’essaim de formules galvaudées qui le cernent. Lorsque je tente de communiquer aux autres qui me lisent l’expérience singulière que ce mot rappelle à ma conscience (ennui, enthousiasme, douleur qui me sont propres), je m’aperçois que le mot risque d’aplatir cette expérience, qu’il est toujours trop solennel ou trop anodin pour que mon émotion rencontre celle des autres. Il me faut alors inventer, dans le modèle réduit de la forme brève, un langage qui résiste à ce que ce mot a de désespérément commun ; il me faut essayer d’écrire à même la séparation.

Il faut connaître le tremblement des regards échangés dans une salle de classe pour s’accrocher au sens d’une lecture partagée. Se rappeler la détresse des déracinés pour rêver de planter un arbre et puis de lui donner un nom. Il faut être un peu malheureux pour oser parler de bonheur plutôt que de se protéger du ridicule ; un peu économiste pour enrichir d'un sens loufoque le capital. Il faut regretter fort l’absence de voix amies pour s’émouvoir d’un borborygme ; beaucoup aimer la poésie pour lancer un bibelot loin du poète ; souvent s’agacer de ce qui se dit sur l’art pour cultiver l’envie d’en faire.

Enfin, dernière forme (légère) de cette figure de l’impossible : il faut croire à ce qui, pendant quatre ans, a été fait, pour se lancer avec confiance dans son renouvellement. Dès l’année prochaine en effet, Transitions change. Trois lettres précisent les modalités de cette évolution et ce que nous attendons de ce rebond. Bonne lecture !

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