Séminaire

Séance du 31 mars 2014

 

Préambule

« TransPoésie » : le nom de la rubrique que tient Didier Cahen dans Le Monde (des livres) ne pouvait que nous donner envie de le rencontrer. Le préfixe « trans- » renvoie ici à une pratique consistant à composer un poème à partir de trois vers empruntés à d’autres poètes. Quelle place tient-elle par rapport à sa propre écriture poétique, à la poésie en général ?

Déjà, nous explique-t-il, il ne veut pas de « mélange gratuit », et ne recherche pas l’« homogénéité ». Pas de trahison, en cela, mais l’organisation d’un « passage imaginaire » : il voudrait livrer au plus grand nombre ce qui « résonne » en lui,  en faire « de l’audible, du lisible, du recevable ».  Cette transitivité, cette « transsubjectivité » même (M.-H. Boblet), est également à l’œuvre dans sa poésie : il s’agit de donner la parole à « l’autre en lui », à cet autre que d’autres poètes ont eu la capacité d’éveiller.

Vision « transgressive » de la poésie, selon lui, ou « iconoclaste » (H. Merlin-Kajman). Pour construire des « transitions dans l’hétérogène » et refuser la sacralisation d’une voix. Mais aussi parce qu’on n’a pas le choix, dit D. Cahen, qui place son dernier recueil sous le signe de la question d’Adorno : « Peut-on encore écrire des poèmes après Auschwitz ? » Oui, mais radicalement différents d'avant.

Il y aurait donc une poésie non seulement choisie mais imposée par la modernité. Plus possible de faire autrement. Mais comment articuler cela avec la possibilité que la littérature soit un objet où s’abritent et se rencontrent des subjectivités à travers le temps, où s’expérimente le monde en quelque sorte hors du monde ?

A la question d’Adorno, D. Cahen répond donc par « oui » et par la nécessité d’« inventer de nouvelles formes ». Plaisir et soulagement d’entendre ce « oui », et de goûter ces « nouvelles formes ». Passionnante perplexité devant ce que l’hypothèse d’une trans-historicité de l’objet « littérature » peut faire avec ces « nouvelles formes ».


S. N.

Didier Cahen est né à Paris en 1950. Il est poète et essayiste. Il collabore au Monde des Livres (rubrique TransPoésie). Derniers livres publiés : A livre ouvert, préface de Jean-Luc Nancy, Hermann, 2013 ; Les sept livres, La Lettre volée, 2013. En préparation : Scènes, avec 15 gravures de Gérard Garouste.

 

 

 

 

Rencontre avec Didier Cahen

Poésie et transitions

 

 

 
 

10/01/2015

 

 

Présents : Alexis Hubert, Marie-Hélène Boblet, Pierre-Antoine Bourquin, Gilbert Cabasso, Maren Daniel, Mathilde Faugère, Virginie Huguenin, Côme Jocteur-Monrozier, Sarah Mouline, David Kajman, Nathalie Kremer, Sarah Mouline, Hélène Merlin-Kajman, Sarah Nancy, Jennifer Pays, Tiphaine Pocquet, Fanny Siaugues, Brice Tabeling.

 

 

 

Plan de la séance :

 

Présentation par Hélène Merlin-Kajman

00 : 06 : 50 Exposé et lectures de Didier Cahen

01 : 06 : 48 Question d’Hélène Merlin-Kajman : En parlant de « TransPoésie », tu as évoqué un « rapport transgressif » de la poésie à elle-même. Le mot qui m’était venu à moi n’était pas du tout celui-là, qui renvoie très nettement à la modernité, mais « iconoclaste ». Cela m’a fait penser au « florilège », à la « gerbe », à des pratiques ludiques, artificielles de la littérature. Cela ne forme-t-il pas une contradiction intéressante avec le fait que tu te rattaches par ailleurs à une définition de la poésie sous le signe de la négation, du rien ?

01 : 17 : 00 Question de Marie-Hélène Boblet : A propos du « montage » (ce terme me semble convenir) que vous pratiquez tant dans votre poésie qu’avec les textes des autres  poètes, vous utilisez deux types de lexique : « passage imaginaire » et « résonance ». Mais puisque vous dites que c’est la voix qui est essentielle en poésie, est-ce que la voix d’un poète a le temps de se poser sur un vers ? Et avez-vous le sentiment que cette « résonance » ou ce « passage imaginaire », vous traverse, qu’il cherche un vecteur ? Est-ce qu’il y a quelque chose de transsubjectif dans votre pratique poétique ?

01 : 21 : 39 Question de David Kajman : Je suis étonné que vous refusiez le mot de « montage » car si je pense au blog d’Arte, qui travaille sur le montage en recréant une séquence à partir d’emprunts à plusieurs films, j’y vois un point commun intéressant : un retrait du « je » qui ne consiste plus à être dans la création, mais dans le réagencement. Cela vous parle-t-il ? Et n’est-ce pas une possibilité qu’ouvre Celan, justement ?

01 : 25 : 15 Question de Gilbert Cabasso : Je me pose la question de l’injonction, presque du manifeste, du programme qui s’entend dans le texte que vous venez de lire. Il y a en effet des moments où vous revendiquez très nettement la poésie comme « non expérience » de la langue, et dites qu’« il faut savoir laisser aux autres leurs compétences », ce à quoi je souscris pleinement. Mais comment faire le partage entre ce qui répond à cette revendication dans la poésie moderne, et ce qui n’y répond pas ? Pour moi, il est frappant que vous soyez dans ce type de démarche qui vise à exclure, tout en vous situant dans le sillage de Celan et de Jabès.

01 : 31 : 48 Question d’Hélène Merlin-Kajman : Je vais poser une question proche de celle de Gilbert, mais d’une autre manière : celle du côté assertif, injonctif de ton texte – pour ma part, je ne parlerais pas de manifeste parce que cela supposerait que quelque chose commence au moment où tu écris. Or tu écris sous le signe de la phrase d’Adorno. Cette perspective (contre laquelle, d’ailleurs, notre manifeste à Transitions se place d’une certaine manière) ne pose-t-elle pas problème à l’égard d’une définition de la poésie tout court ? Le partage que tu proposes, la nécessité d’une « poésie moins poétique et moins essentielle », cela doit-il s’organiser autour de la rupture d’Auschwitz ? Pour ma part, je ne peux pas être d’accord.

 

Noms cités dans la discussion :

 

Edmond Jabès

D. Cahen, Qui a peur de la littérature ?, éd. Kimé, Paris, 2001

D. Cahen, À livre ouvert, préface de Jean-Luc Nancy, Hermann, 2013 « tirs à blanc »

Ronelda Kamfer

Leonard Cohen

Evelyne Trouillot

Rachel Blau DuPlessis

Mária Ferenčuhová

Jacques Derrida

Edmond Jabès

Paul Celan

Alain Veinstein

Laure Adler

Patrick Kéchichian

Raphaëlle Rérolle

Jean Birnbaum

Monique Petillon

Emmanuel Hocquard

Philippe Beck

Philippe Delaveau

André du Bouchet

Stéphane Sangral

Ludovic Degroote

Antoine Emaz

E. Jabès, Le livre des questions

E. Jabès : « Tu es celui qui écrit et qui est écrit »

E. Jabès, « L’étranger » : « Je suis à la recherche d’un homme que je ne connais pas, qui jamais ne fut tant moi-même que depuis que je le cherche. »

E. Jabès, « ne demande pas ton chemin à qui le connaît, mais à celui qui, comme toi, le cherche »

E. Jabès, « Soleilland »

D. Cahen, Un monde en prose, Rennes, Apogée, 2003

M. Blanchot, La Folie du jour.

« Wo Es war, soll ich warden »

Claude Garache

Olivier Goujat

Rainer Maria Rilke

Gérard Garouste

Michel Foucault

P. Lacoue-Labarthe, J.-L. Nancy, L’Absolu littéraire

Theodor W. Adorno

Blog : http://cinema.arte.tv/fr/magazine/blow-up

Gilles Deleuze, « Un manifeste de moins »


 

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