Inédit

Les déplorations des « rhétoriqueurs » parlent-elles de « traumatisme » ?

 

 

 

Préambule

 

Les 13, 14 et 15 décembre 2018 s’est tenu un colloque international sous l’égide de Transitions consacré à « Littérature et trauma ». Il a rassemblé trente-six communiquants réunis en sessions, elles-mêmes réunies en journées. François Cornilliat est intervenu lors de la deuxième journée, vendredi 14 décembre, journée consacrée à « Des équivoques à éclaircir », lors de la session « Individuel vs collectif, trauma vs traumatisme ».

Prenant pour point de départ l’opposition tracée par Patrice Loraux entre « disparaître spirituel » et « disparaître traumatique » d’un côté, et entre le régime rhétorique de la réparation et l’exigence de non-réparation (laquelle s’accompagne cependant, chez Loraux, d’une exigence de re-présentation) de l’autre, François Cornilliat se penche sur le premier à travers le cas des déplorations des grands rhétoriqueurs du XVe siècle. Ce qui s’appelle « rhétorique » ici s’ouvre à la complexité : et François Cornilliat nous montre les ambivalences des dispositifs mis en place dans un même genre, les déplorations faisant se succéder consolation, remontrance et plainte, pour n’évoquer que ces trois modes d’adresse, démontrant ainsi la conscience que quelque chose d’irréparable advient même dans le deuil, même saisi sur un mode à la fois rhétorique et spirituel.

Il serait vain de résumer d’un mot la subtilité de la démonstration. François Cornilliat suggère deux points importants : le premier, que, comme Marcel Mauss l’avait suggéré en se penchant sur « l’expression obligatoire des sentiments », les formes convenues de la déploration ont quelque chose de cathartique ; le second, c’est qu’elles n’interdisent en rien que se glisse aussi l’expression de la douleur et de l’angoisse vécues sur le mode le plus privé.

H. M.-K. et T. P.

François Cornilliat est professeur à Rutgers University. Il a notamment publié Couleurs de l’Éloge et du Blâme chez les « Grands Rhétoriqueurs » (Champion, 1994), La poésie de la Renaissance et le choix de ses « arguments » (Droz, 2009) et Ethos et Pathos. Le statut du sujet rhétorique (co-édité avec Richard Lockwood, Champion, 2000). Il travaille actuellement, avec Laurent Vissière, à une édition critique du Panegyric du Chevallier sans reproche de Jean Bouchet pour les Éditions Classiques Garnier. Membre de Transitions.

 

 

 

 

 

Les déplorations des « rhétoriqueurs » parlent-elles de « traumatisme » ?

 

 

François Cornilliat

01/06/2019

 

 

Ce que nous appelons « traumatisme » trouve-t-il sa place dans les allégories que les poètes-historiographes du XVe siècle connus sous le nom impropre de « grands rhétoriqueurs » consacrent aux « gestes » de leurs maîtres, en pleurant, le moment venu, sur leur mort et autres coups du sort ? La question est largement rhétorique : autant avouer d’emblée que la réponse est non. Cependant cet artifice me demeure utile, comme une sorte de signal négatif ou de guide paradoxal pour les remarques qui suivent. Il ne s’agira ici que d’esquisser, à partir d’exemples fragmentaires et sans prétention typologique, trois figures – parmi d’autres – du régime de la disparition que Patrice Loraux qualifie de « spirituel » pour l’opposer au « traumatique » qui est notre lot[1] ; régime dans lequel nous n’entrevoyons qu’en creux la dynamique propre à notre sujet, mais qui jette peut-être, du même coup, une lumière oblique sur ses enjeux. On sait que Loraux distingue « le disparaître spirituel, qui peut certes être extraordinairement destructeur, violent, mais qui intègre quand même le disparu dans un destin et procure à la communauté quelque chose comme un bénéfice, et le disparaître traumatique, qui est entretenu par l’exclusion continuée de la disparition, puisque la disparition est accomplie en tant qu’il n’y a pas de disparition[2] ». « [D]ans le disparaître sprituel », note-t-il encore, « le disparu est là, sur le mode [...] d’une présence spirituelle ; le disparu étant là, vous pouvez fonder un sanctuaire, un édifice, un lieu de culte, une institution, bref vous pouvez fonder sur du disparu étant là[3] ». À propos de l’oraison funèbre, grecque en particulier, Loraux parlait quelques pages plus haut d’une « éloquence civique grandement réparatrice pour la cité », où « le logos répare intégralement la mort, à quelques nuances tout de même[4] ». Il ne faut pas oublier ces « nuances », potentiellement révélatrices de la fulgurante concession que s’autorise par ailleurs Loraux lorsqu’il écrit, à propos du disparaître « spirituel » (par différence avec sa forme « traumatique ») : « peut-être, d’ailleurs, qu’il y a toujours, dans le spirituel, plus grave que lui-même[5] ». Dont acte : gardons à l’esprit cette pierre d’attente, mais suivons néanmoins Loraux dans son analyse de la fonction « réparatrice », voire « spirituelle[6] », de l’éloquence comme telle, « la figure de rhétorique elle-même » supposant « une composition de l’absence dans la présence[7] ».

Avec les rhétoriqueurs et les cathédrales de figures qu’ils se plaisent à construire, nous sommes en effet dans une forme hyperbolique de « la représentation qui réconcilie ». Lorsque Loraux écrit que « nous avons le plus grand mal à ne pas nous inscrire dans une logique de la réparation et de la compensation », « à ne pas penser que le malheur ne soit pas une promesse, que, d’une certaine façon, il nous apporte une expérience qui, en retour, nous fait attendre [...] [une] Puissance de Justice qui restaurera, rétablira, rééquilibrera[8] », il rend un hommage grinçant au pouvoir d’une structure dont les rhétoriqueurs, avant et après bien d’autres, étaient précisément payés (plutôt bien) pour tester, démontrer, célébrer la solidité sous le choc d’une énième catastrophe ; à la puissance d’une idée qu’ils ne se lassaient pas de « filer », de développer allégoriquement, à nouveaux frais, toujours plus ingénieux et flamboyants. Ce que Loraux appelle « un mode symbolique de restauration dans la représentation » décrit exactement les sanctuaires textuels ainsi créés ; par exemple Le Trosne d’Honneur[9], le prosimètre que Jean Molinet consacre en 1467 à la disparition de Philippe le Bon, duc de Bourgogne.

Dans la structure canonique héritée de Boèce mais amplifiée par le registre épidictique (et politique), on commence par la lamentatio, l’expression ultra-pathétique de la douleur même, poussée d’entrée de jeu dans l’abîme du non-réparable. C’est ici Noblesse[10] qui s’en charge : 168 vers d’accablement lachrymal, voués à signifier un deuil qu’on ne « poeult reparer », l’expression apparaît deux fois dans le texte[11]. Le rôle de Noblesse est de pleurer, et d’appeler tout le monde à pleurer, définitivement : « Plourés, plourés, ducz, contes, chancelliers, / Haulx chevaliers », « conseilliers », « familliers », « officiers », « Tout essanson [échanson] soit sans joie et sans son / Et sans reson [résonance], car la mort sans son a / Ravy Sanson [...][12] ». Et plus loin : « Pleure, mon oeul, qui est sans solas, las, / Es lacs, hellas ! où mort patente tente : / Fiere Atropos, attrapant agrippas, / Quand tu tuas joye, doeul suscitas : / Tué tu as mon cœur, pulente lente [...][13] ». Ces figures – rime batelée, rime couronnée, voire emperière (« qu’ardure dure dure ») – nous font sourire parce que nous n’entrons plus dans leur logique : un cœur vraiment « mort » à nos yeux n’oserait plus s’exprimer de cette façon, fût-ce dans la violence plutôt que par le silence ; nous à qui l’excès de pathos (quelque forme qu’il prenne) paraît souvent obscène tolérons encore bien moins de l’entendre tomber dans le calembour. Il en va autrement pour Molinet, qui n’a certes pas l’intention de faire sourire (ici).

Il se trouve cependant – la structure du prosimètre ne va pas tarder à le confirmer – que Noblesse est dans l’erreur, le fourvoiement d’un désespoir dont l’excès figural est chargé de montrer la mortelle énergie tout en préparant a contrario le retournement « spirituel » qui doit y mettre fin. S’agit-il donc, en somme, de montrer la plainte tombant dans le « bruit irraisonnable » de la phonè (je cite ici Hélène Merlin-Kajman commentant Jacques Rancière (et Aristote), à propos de la plainte dans Horace de Corneille[14]), de la phonè à quoi un logos digne de ce nom sera chargé de rendre (c’est-à-dire de couper) la parole ?  Il faut se rappeler que les mêmes figures, les « gorgianismes » multipliés des rhétoriqueurs, s’emploient aussi bien en bonne part, pour manifester la joie, l’« abondance du cœur » qui célèbre la perfection de l’ordre rétabli ; ou encore pour dire une indignation légitime, une colère fortement assumée par le poète, contre les turpitudes d’un ennemi ; ou encore, en contexte allégorique, la duplicité d’une éloquence manipulatrice, censée se servir de tels procédés pour hypnotiser[15]. En fait ces figures de « son », qui pour nous font souvent trop de « bruit », ne sont pas moins susceptibles que d’autres, apparemment plus discrètes, d’un emploi différentiel. Ce qui compte, c’est la mise en drame, le « casting » contextuel de l’effet mobilisé ; c’est la double programmation – par l’allégorie qui prête ces figures à des personnages et par la disposition qui les déploie dans un certain ordre – d’une musique uniformément somptueuse (comme l’éclat des brins de laine d’une tapisserie) mais fonctionnellement et symboliquement diverse.

On admettra donc, sans postuler pour autant un effet générique imputable aux figures comme telles, que la plainte de Noblesse fait du « bruit », qu’elle en fait trop, qu’elle a quelque chose d’excessif et d’intempestif ; et c’est cela que l’avalanche des figures de son – de rime notamment – est en l’occurrence chargée de signifier. Du même ordre est l’usage inversé de l’exemplarité, soit du toposqui commande à l’oratrice de convoquer, pour les récupérer, les autres douleurs connues, privées ou publiques, privées donc publiques, pour en orner et augmenter la sienne. Hécube ne doit plus pleurer sur Troie, ni Pyrame sur Thisbé ; on adjure Lucrèce de ne plus gémir (comme elle est censée le faire) sur la perte irrémédiable de sa chasteté, ni Tamar sur celle de sa virginité : « Faites en nous vos pleurs avoir leur cours / Et nous donnés vos larmes pour secours » ; ou encore : « Faictes tourner et vos plains et vos cris / Dedans nos cœurs » ; nos cœurs à nous, qui pleurons « Pour ce bon duc que ne po[v]ons ravoir[16] ». À la souffrance, ce concert obligatoire ne reconnaît d’autre expression que les larmes, féminines de préférence, pour mieux en détourner le cours, présumé aussi éternel qu’unanime – donc toujours prêt à échanger sa source, à échanger une cause (connue, enregistrée, archivée par la conscience et par l’histoire, viol de Lucrèce ou chute de Troie) pour une autre, une raison fraîche de sangloter, en sachant qu’on le fait comme on l’a toujours fait.

Le double postulat qui feint d’animer ce discours – celui du caractère interminable, parce que cumulatif et circulaire, de la douleur et de sa transparente (quoique redondante) expression –, va cependant être démenti par l’événement qu’il ne prévoyait plus (mais que l’organisation du texte s’est chargée de prévoir pour lui) : une inévitable défaillance. À force de renchérir, Noblesse se réduit elle-même au silence, « car plus n’avoit force de complaindre sa dure doleance pour la multitude des souspirs qui si fort l’agressoient, mais fondit en larmes, pasmée de doeul, bersaudée de cris, defoullée de plaings, comme toute abandonnée aux soldats de Despoirs[17] ». Les larmes continuent, la parole s’arrête : au rebours d’une catharsis purgeant les passions par les mots qui les disent, au rebours aussi bien du mode de sortie du traumatisme et de retour à la « représentation » qui suppose (pour reprendre des termes de Patrice Loraux) qu’un sujet « revienne à lui », se montre « capable de recouvrer l’affectivité, c’est-à-dire une affectabilité qui ne soit pas submergée par la douleur ou par l’hébétude[18] » – par exemple en versant des larmes avant de retrouver la parole. Ici la douleur extrême, aussi clairement ressentie que sentie, aussi consciente de ce qui l’émeut que fertile en moyens d’expression (instantanément mobilisés), se condamne à l’aphasie par un phénomène physique – l’étouffement sous les soupirs – dans quoi on aurait peine à distinguer son effet propre (celui de la souffrance même) de celui de l’inflation verbale qui s’est vouée à l’exprimer. La double faute de la douleur est d’avoir, parce qu’elle s’estime elle-même insurmontable, surestimé son éloquence, qui s’amplifie sous nos yeux pour dire et redire, jusqu’à l’implosion, ce qui se révèle alors non comme un indicible, mais comme quelque chose qu’on n’arrive plus à dire à force de l’avoir dit : il existe bien des « mots pour le dire », et même tous les mots qu’on veut, rimant à qui mieux mieux pour exprimer – c’est-à-dire exhiber – la souffrance ; jusqu’à leur propre épuisement.

Or la souffrance qui finit par faire silence n’aura été exposée de la sorte, par le vacarme de la déploration, que pour être démentie – dès son interruption. Car le silence permet le moment attendu (cette rhétorique, qui n’en finit pas d’étonner par son elocutio, se montre sans surprise, à dessein, en ce point précis de sa dispositio) où se fait entendre une autre parole, qui s’énonce en prose et non plus en vers, pour morigéner la première : « O cœur failly, frelle nature, tendre voloir feminin de tres povre resistence, ne scés tu pas amesurer ton pleur par ordonnance raisonnable[19] ? » Déployant l’« armonieuse éloquence » du logos contre l’intempérance asphyxiée de la phonè réputée féminine, c’est dame Vertu, opportunément apparue, qui tance ici Noblesse, sa « fille bien amée », pour la ramener à raison.  Non que toutela substance du discours douloureux s’en trouve du même coup disqualifiée : il convient au contraire de reconnaître, comme l’a récemment montré Ellen Delvallée[20], que les larmes et leurs arguments ont bien ici, à leur manière, une fonction d’éloge. Il s’agit de marquer, de façon hyperbolique, la fidélité requise de Noblesse, tout en représentant une première fois, par le pathos, l’immensité pour elle et pour le monde de la perte d’un si grand homme ; donc, par inférence, l’immensité de ses vertus. Rôle inaugural – et par là provisoire : car il a aussi quelque chose de primitif, et doit s’emporter lui-même avant que ne triomphe une nouvelle version du propos. Il n’est d’ailleurs pas exclu que ce « premier temps » qu’est la lamentatio ait comme tel une fonction cathartique implicite ; que toutes ces larmes topiques, collectivement versées, ne le soient pas en vain, puisqu’aussi bien on s’attend à les trouver là (on ne saurait en être scandalisé, comme l’est Horace d’en rencontrer chez Sabine ou Camille) ; qu’elles préparent la voie à un discours plus rassis. Il n’en reste pas moins que le dispositif allégorique – la « fiction » – se doit de récuserla causalité que suggère (peut-être) la succession ritualisée qui donne à ces sanglots une place initiale. Il n’admet officiellement qu’un scénario : pour attendue qu’elle soit, la plainte est une impasse, dont seul un autre discours, qui n’a jamais pleuré, est habilité à sortir. En inversant la perspective, il devient clair qu’on se permet ici le faste des larmes avec d’autant plus de complaisance qu’elles seront plus fermement censurées. En somme la possibilité du soulagement ou de la jouissance des larmes semble à la fois inscrite et raturée, déployée et refermée par la dispositio codifiée de tels textes.

Ou encore et inversement, l’espace d’un « différend », au sens de Lyotard[21], entre le discours de la plainte (qui certes ne cherche pas ses mots) et celui de la vertu face à une même épreuve pourrait s’ouvrir s’il n’était aussitôt refermé, tant ce dispositif rend officiel, automatique et sans reste (car mutuellement consenti) l’abandon d’une première (torrentielle donc insuffisante, inadéquate, inappropriée) façon de s’exprimer. La logique de l’éloge demande donc à celui-ci de fermer les vannes pour donner la parole à un ethos distinct (masculin ou maternel, c’est selon) ;  à une instance non pas « plus raisonnable », mais raisonnable en soi, chargée du second temps, celui de la consolation : car si lieu de l’éloge il y a, alors il n’y a plus, il n’y a jamais eu lieu de pleurer. Ça marche, et tout de suite (on est loin du long chemin que parcourt et décrit Boèce) ; mais pas complètement. Le topos de rigueur, qu’on retrouve dans tous les textes de ce type, veut en effet que l’éplorée ne se retrouve qu’« à demy consolée[22] » par la remontrance : l’éloquence raisonnable, pour irritée ou attendrie qu’elle soit par l’effondrement pathétique de sa fille ou de sa pupille, ne saurait (sans se renier) manier à son tour le pathos, jouer avec le feu d’un effet ; prétendre annuler, par ses propres moyens, l’excès dans lequel est tombée l’éloquence déraisonnable. La vertu n’est pas censée manger de ce pain-là : c’est à la raison nouvellement restaurée de son élève de faire la seconde moitié du chemin en intériorisant les raisons qu’elle a (qu’elle aura eues) de se consoler.

Or, de même qu’un éventuel soulagement pathétique est ici masqué ou bloqué par le silence de l’échec, de même le succès de la reconquête éthique, censé être donné à attendre, est en réalité tenu pour acquis, par un second phénomène de masquage. Le reste du texte en effet, loin d’accompagner cette seconde mi-temps en égrenant les raisons dans le registre méthodique et sévère d’un sermon ou d’une consolatio à l’antique, va se consacrer à les figurer dans le registre somptueux de l’éloge pur, comme si la cause était entendue ; va les donner non à considérer, mais à contempler, en montrant que le disparu n’a pas disparu. À qui est à moitié consolé, la rhétorique de l’éloge ne fait pas faire le reste du chemin, mais le suppose déjà parcouru, comme instantanément et en toute autonomie, donc tout prêt à vivre sa récompense.

À peine Noblesse a-t-elle commencé de sécher ses larmes que Vertu remonte au ciel, qui s’ouvre aussitôt pour révéler « ung tres precieux trosne garny de beauté incomparable », auquel on monte en passant « par noeuf cieux, où estoient noeuf dames, noeuf preux, et noeuf lettres d’or qui coeullies ensemble faisoient Philippus, propre nom de cestre tres haulte et precieuse fleur de noblesse le grand duc d’Occident[23] ». Après quoi on procède par énumération, jusqu’à ce que (le tour des vertus princières ainsi accompli par la grâce des neuf lettres, et le défunt stylisé dans sa gloire parmi la liesse universelle) l’auteur n’ait plus qu’à conclure en offrant au nouveau duc (Charles) l’œuvre qui vient de si bien réaliser (donner à lire, donner à voir) l’apothéose de son père. En cette impeccable machine consiste bien, si l’on veut, l’art poético-historiographique des « rhétoriqueurs », saisissant les tourments de l’histoire dans les ors de la poésie sous le signe de la « démonstration » épidictique – cet art coruscant dont Molinet représente, si l’on veut, un type achevé.

Mais si l’on ne veut pas, il suffit de prendre un peu de recul : ce paysage d’étoiles fixes se met aussitôt à bouger. La démarche « spirituelle » évoquée par Loraux n’est pas tenue d’opérer selon un modèle unique : il est plus d’une façon, au XVe siècle même (et même chez Molinet), de traiter la douleur avant de remonter au ciel où se vérifie, par vision glorieuse, que les raisons de souffrir n’en sont pas. Entre ces manières d’œuvrer à la restauration du « disparu » s’ouvrent des interstices, espaces de divergence ou de correction sinon de « différend » (entre l’épidictique et le délibératif, par exemple) qui méritent aussi d’être explorés. Je me contenterai d’esquisses concernant deux textes, d’autres auteurs – l’un antérieur et l’autre postérieur au Trosne d’Honneur.

 Commençons par le second. Jean Lemaire de Belges, disciple et successeur de Molinet, modifie dans La Couronne margaritique le scénario perfectionné par son maître[24], pour l’adapter à une souffrance unique et d’une intensité présentée comme exceptionnelle : celle de Marguerite d’Autriche, mise un instant au bord du suicide (elle tenta de se jeter d’une « haute fenestre ») par la mort subite, en septembre 1504, à 24 ans, de son second mari, Philibert de Savoie. Ce drame répétait le trépas du premier, le non moins aimé Jean d’Aragon, mort à 19 ans, en 1497 (Marguerite en avait 17), après quelques mois d’un mariage que l’entourage jugeait heureux mais trop passionné : la mort de Jean avait laissé la princesse « comme demymorte » ; un peu plus tard, après « douze jours et douze nuicts entieres » de travail, elle accoucherait d’une fille mort-née[25]. La Couronne dictée par l’épreuve de 1504 prend en charge les précédentes[26]– y compris la première de toutes, l’humiliante répudiation que subit à 11 ans la jeune Marguerite, élevée en France, quand Charles VIII renia leurs fiançailles pour épouser Anne de Bretagne. Il en résulte une œuvre non seulement démesurée, mais très curieusement construite[27].

D’une part il y est à peine question du deuil des Savoyards à la perte de leur duc. Dame Jeunesse (et non Noblesse) se charge de la plainte et de l’appel aux pleurs auprès des « vassaux » et autres « subjetz » ; d’où suit, comme il se doit, l’aggravation de « l’aspresse du dueil, la douleur des plourans, le pleur des desolez, et la desolation des povres cœurs desconfortez[28] ». Mais cette lamentation a tôt fait de se focaliser sur « le miroir de douleur infinie » qu’est « la Princesse / Qui de gemir un instant ne cesse[29] » : sous couleur d’incarner la douleur collective – sociale, politique –, le deuil personnel de Marguerite en usurpe la place et le rôle. D’autre part et surtout, l’insignifiant Philibert passe ici non seulement de vie à trépas, mais par pertes et profits : les dix lettres de l’éloge seront cette fois celles du nom de la survivante, ainsi honorée seule, par dix orateurs successifs, pour avoir vite surmonté sa pulsion suicidaire, deux émissaires de Vertu lui ayant fait honte d’avoir laissé un instant dominer « son noble courage jadis plus que virile [...] par imbecilité feminine[30] ». Le ressaisissement vertueux face à la cruauté des morts réitérées fait désormais tout le sujet de l’œuvre ; et pour en prendre la mesure il convient de rappeler les tourments subis, ce que font les orateurs chargés de louer la princesse à travers les lettres de son nom. Loin de faire oublier le deuil extrême auquel ont mis fin la « prudence » et la « fortitude » de l’héroïne (qui, au grand dam de son père Maximilien, décide de ne jamais se remarier), la restauration de la sérénité lui dresse un mémorial.

Mieux, Lemaire élabore une « fiction poétique » chargée de nous faire comprendre que c’était pouréprouver la duchesse, pour la briser enfin par une ultime avanie, que le pauvre Philibert a perdu la vie. Il s’agit en effet d’un piège, tendu non par Fortune, mais par un avatar masculin de celle-ci, une démon nommé Infortune, qui fait équipe avec la Mort mais dont la raison d’être singulière est de faire tomber cette jeune femme trop courageuse « en extremité d’impatience desolatoire[31] ». C’est donc lui qui rend « itératives » et la mort, et la douleur, lui qui plonge la malheureuse dans le vertige de la répétition. Ce malin génie inventé pour expliquer la série noire dont est victime la princesse sert aussi à « fixer » en lui le désespoir dont elle parvient à se libérer : rendu furieux par son échec, « et par horrible desespoir ululant hideusement, [il] debatit ses aesles draconiques [...] et comme un carreau de fouldre accompaigné de tonnoirre se plongea dedens la riviere prochaine et parfonde, [...] et de là print son chemin aux enfers[32] ». Moyennant ce transfert fabuleux du « deuil » pourra être élaborée une flamboyante « couronne » de mots, qui consacre un triomphe « spirituel » tout en nous parlant aussi, à sa manière, d’un processus « traumatique » ; entre guillemets, puisqu’il ne s’agit ni d’un événement oublié qui se reproduit figurativement, ni d’un événement remémoré à ce point affreux qu’il pétrifie face à lui sa victime, mais d’une succession d’accidents vécus, dont l’étrange ressemblance, repérée comme telle, motive et remotive le sentiment de l’insurmontable – et le justifie presque, mais pour rendre d’autant plus louable la vertu qui, finalement, le surmonte.

Terminons en évoquant le cas, antérieur à la « Grande Rhétorique » proprement dite, d’une douleur d’autant plus « personnalisée », d’autant mieux incarnée – par l’écrivain en l’occurrence – qu’elle a bien vocation, cette fois, à représenter celle de tout un peuple. Alain Chartier déplore et affronte les malheurs du royaume de France (désastre d’Azincourt, traité de Troyes, l’héritier du trône dépossédé de celui-ci) dans deux textes successifs – Le Quadrilogue invectif en 1422 et LeLivre de l’Esperance, laissé inachevé par sa mort en 1430 – dont « l’acteur » met en scène l’horreur que lui inspire (il est secrétaire de Charles VII) le misérable état de la chose publique. Quoique relevant des mêmes techniques de représentation allégorique, ces œuvres sont de nature non pas démonstrative, mais délibérative : la solution n’est pas encore venue, et s’il faut sortir de la douleur, c’est pour engager le débat dont dépendent diagnostic et programme d’action.

Dans le Quadrilogue, œuvre directement politique, le Peuple et le Chevalier s’accusent mutuellement de tous les maux avant d’être renvoyés dos à dos par dame France et son Clergé ; dans l’Esperance, la catastrophe est intériorisée par « l’Acteur », « homme esperdu, le visage blesme, le sens troublé, et le sanc meslé au corps », livré à sa « Melencolie », qui le serre à tel point dans ses bras décharnés, dit-il, « que je sentoye mon cueur au dedans destraint comme en presse : et de ses mains me tenoit la teste et les yeux embrunchés et estouppés, si que n’avoye loisir de voyr ne de ouir[33] ». Jeté par cette mégère sur « la couche d’angoisse et de maladie », il y subit les « parolles espoventables » de Deffiance, Indignation et Desesperance, qui lui percent le cœur et aveuglent sa raison au point de lui inspirer « grant hayne de sa vie et souhayt de mourir[34] ». C’est alors que Nature, rebelle à « la violente destruction de son ouvrage », se « herice » timidement contre la mort, émeut ses veines, ses nerfs, ses vertèbres, puis réveille son Entendement endormi, qui se secoue et enteprend de traiter le patient, en l’adjurant de se « tourner » vers lui et en nommant ses persécutrices. Mais la leçon porte mal : « je qui estoye [...] demouré comme esperdu et esvanouy ne povoye ses parolles imprimer en ma pensee[35] ». Il faut encore qu’Entendement s’insinue dans la « mémoire » du malade, où il parvient à ouvrir – « pour donner plus grand clarté » – un « petit guichet » naguère verrouillé par « oubliance ». C’est par cette mince ouverture que se faufilent « incontinent » trois dames : les vertus théologales.

Nous n’entendrons que les deux premières, Foy puis Esperance, venues rappeler – non plus à celui qui dit « je », mais à son Entendement (seul interlocuteur agréé, « l’Acteur » se bornant désormais à le mettre en scène) –, d’où il vient et où il va, tout en lui fournissant une explication du désastre national : c’est le châtiment de Dieu. De ce que cette raison soit attendue, et vérifiée par des citations d’Isaïe ou d’Ezéchiel, il ne suit pas qu’elle soit assimilée, au contraire ; Entendement doit continuellement travailler à l’entendre, en apprenant à reconnaître qui est vraiment à même de l’instruire. C’est ainsi que l’authentique Espérance (en Dieu, venue de Dieu, annonçant le pardon qui, à certaines conditions, succédera au châtiment) n’inventorie au fil de son message pas moins de quatre avatars frauduleux – parce qu’humains et subjectifs – de sa propre personne : Espérance « presumptive », qui attend de Dieu grâce sans mérite ; « defective », qui met son espoir en « choses variables » comme la richesse ou la beauté ; « opinative », qui donne autorité à sa propre opinion (l’exemple en est le peuple juif, contre lequel la consolatrice se répand en imprécations) ; et « frustrative » – ainsi appelée bien qu’elle ne se puisse « proprement nommer » –, qui compte sur la fortune, tel César sur le Rubicon[36]. On voit combien le genre délibératif complique, chez Chartier, ce que le genre démonstratif simplifie, chez Molinet (ou vice versa). Dans les deux cas il s’agit certes, en postulant l’inaptitude du « passible » à sortir du pathos, de rendre la raison à elle-même pour la mettre à l’écoute d’un message plus élevé ; donc non pas de faire en sorte que la douleur trouve son expression, mais de mettre fin à celle-ci pour restituer le verbe à une instance autorisée. Reste que la joie de l’éloge accélère ce processus pour arriver plus vite aux fastes univoques du « réapparu » ; là où le devoir de conseil, faute d’issue évidente, le ralentit – multiplie les étapes dangereuses, les occasions de malentendu, de bifurcation fautive.

En amont de celles-ci – et des attaques féroces dont elles demeurent porteuses, contre des repoussoirs suscités à cet effet –,  retenons les deux moments autrement subtils qu’inspire à Chartier (peut-être) quelque chose comme le souci de ces « nuances » dont parle Loraux : celui où Nature, dernier recours, fait frémir l’organisme du patient avant de réveiller l’entendement qui le gouverne ; et celui où l’entendement, réveillé mais affaibli, doit encore visiter la mémoire, et y pratiquer vaille que vaille – juste pour faire un peu de lumière – une ouverture, par où la transcendance débloquée fait enfin son entrée, puis son travail. Contrairement à ce que raconte l’éloge, il ne suffit donc pas (en l’occurrence) que la douleur s’arrête de crier, par simple épuisement, pour que descende du ciel une vérité vertueuse, bientôt heureuse, brillant de tous les feux du discours. À un sujet divisé, frappé de « Melencolie » – silencieux plutôt que loquace, endormi plutôt que larmoyant –, Dieu seul sait ce qui suffirait. Mais ce qu’il faut d’abord, c’est une double intervention (plutôt qu’intercession), modeste, minuscule : un réflexe de son corps, qui cherche à ne pas mourir ; un sursaut de son esprit, qui – soudain, et sans lui dire encore de quoi ni pourquoi – fait qu’il se souvient.

 

[1] Patrice Loraux, « Les disparus », in Le genre humain, n°36, L’art et la mémoire des camps. Représenter exterminer, sous la direction de Jean-Luc Nancy, Paris, Seuil, 2001, pp. 41-57.

[2] Loraux, « Les disparus », p. 55.

[3] Loraux, p. 53.

[4] Loraux, p. 42. Cette remarque sur l’oraison funèbre ancienne intervient au début de l’article, longtemps avant que ne soit présentée la distinction entre disparaître « spirituel » et « traumatique ». Mais cette distinction, lorsqu’elle survient, s’accompagne d’une évocation de « la pensée grecque », posée en paradigme d’une démarche « réparatrice » spécifique, qui organise la « présence spirituelle » du disparu. C’est pourquoi je m’autorise à combiner ces citations que dix pages séparent ; mais il ne suit pas que toute « éloquence » compensatrice soit « spirituelle » en ce sens-là (voir ci-après, note 6).

[5] Loraux, p. 57.

[6] Loraux déclare vouloir être lui-même « sans éloquence, pour ne pas réparer trop vite le traumatique, en le transformant en sublime » ; car « l’éloquence est un registre du discours qui grandit l’absence », et il convient donc de s’en « méfier » (p. 42). La distinction qui suivra confirme que la fonction « spirituelle » de l’éloquence appliquée au « traumatique » actuel (qui l’est, justement, en ce qu’il n’admet pas « les possibilités de la réparation ») a quelque chose de déplacé : le « sublime » qu’elle produit est de mauvais aloi et ne pourrait sans abus être qualifié de « spirituel ». Une telle critique vise donc moins l’éloquence de l’oraison antique (par exemple) que la version fausse, faussée, issue de sa transposition sans « méfiance » dans le contexte d’aujourd’hui. Il ne suit pas, cependant, que l’effet « spirituel » de l’éloquence ancienne échappe comme tel et par principe à une critique de cette sorte. On sait d’ailleurs que la « pensée grecque » s’est aussiattachée à le dénoncer, par exemple dans le Ménéxènede Platon : voir la brillante analyse que Richard Lockwood offre de ce procès (The Reader’s Figure. Epideictic Rhetoric in Plato, Aristotle, Bossuet, Racine and Pascal, Genève, Droz, 1996, pp. 101-169), dans le sillage de celles de Nicole Loraux et Jean-François Lyotard. En ce sens, s’il est illégitime de mobiliser sans méfiance un effet « spirituel » face au « traumatique » d’aujourd’hui, il n’est pas illégitime de tenter d’articuler critique actuelle et critique ancienne ; ni d’interroger d’anciennes pratiques du « spirituel » à la noire lumière de ce que nous appelons le « traumatique » ; ni, en sens inverse, d’interroger en nous-mêmes, à la lumière moins noire du « spirituel » ancien, non seulement l’impact, mais aussi le postulat (ce qui n’est pas la même chose) de l’irréparable, comme nous y invitent les travaux d’Hélène Merlin-Kajman.

[7] Loraux, « Les disparus », p. 42.

[8] Loraux, p. 52.

[9] Jean Molinet, Le Trosne d’Honneur, in Les Faictz et Dictz de Jean Molinet, éd. Noël Dupire, Paris, Société des Anciens Textes Français, 1936, tome I, p. 36-58.

[10] Il peut s’agir, le cas échéant, d’une personne plutôt que d’une personnification : ainsi dans Le Naufrage de la Pucellede Molinet, c’est la « Pucelle » elle-même (autrement dit la princesse Marie de Bourgogne) qui pleure longuement sur son sort – personnel et politique – après la défaite et la mort de son père, le duc Charles (1477).

[11] Molinet, Le Trosne d’Honneur, v. 123, p. 42, et 151, p. 43.

[12] Molinet, v. 89-96, p. 41.

[13] Molinet, v. 153-157, p. 43.

[14] Hélène Merlin-Kajman, L’Esprit Créateur, volume 57, n°2 (Baltimore, Johns Hopkins University Press, Summer 2017), p. 89-108 (citation p. 100).

[15] Voir mon « Or ne mens ». Couleurs de l’éloge et du blâme chez les « Grands Rhétoriqueurs », Paris, Champion, 1994.

[16] Molinet, v. 127-128 et 142-144 , p. 42.

[17] Molinet, pp. 43-44.

[18] Loraux, « Les disparus », p. 46.

[19] Molinet, p. 44.

[20] Voir la première partie, « Lieux et stratégies éthiques de la déploration funèbre », de sa thèse à paraître, Poétiques de la filiation. Clément Marot et ses maîtres : Jean Marot, Jean Lemaire et Guillaume Cretin(Grenoble-Alpes - Rutgers University, 2017) ; ainsi que son article « Les plaintes de la Déploration de Florimond Robertet ou les apories de la poésie funèbre chez Marot », L’Esprit Créateur, volume cité (57, n°2), p. 16-29.

[21] Voir en particulier Jean-François Lyotard, « La phrase-affect (D’un supplément au Différend) », in Misère de la philosophie, Paris, Galilée, 2000, pp. 45-54.

[22] Molinet, p. 45 ; cf. mon étude, « Prosimètre et persuasion chez Jean Molinet, ou l’art de consoler à demi », in Le prosimètre à la Renaissance, éd. Nathalie Dauvois,Cahiers V. L. Saulnier, n° 22 (Paris, Presses de l’École Normale Supérieure, 2005), p. 51-74.

[23] Molinet, p. 46.

[24] Voir la comparaison menée par Michael Randall, Building Resemblance. Analogical Imagery in the Early French Renaissance, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1996.

[25] Jean Lemaire de Belges, La Couronne margaritique, in Œuvres, éd. Jean Stecher, Louvain, 1882-1885 ; réimpr. Genève, Slatkine Reprints, 1969 ; tome IV, p. 15-167 ; voir p. 136-137 (discours de Martin Le Franc).

[26] Deux ans plus tard (1506), elle aurait encore à vivre la mort de Philippe le Beau, son frère aîné, à l’âge de 28 ans ; cette fois Lemaire lui donnera la parole, dans Les Regretz de la Dame Infortunee, sur le trespas de son tres-cher frere unique, qui s’achèvent sur ce vers (adressé au défunt) : « Tu m’es failli par mort et par son crime ». Voir à ce sujet l’étude de Peter Eubanks, « Poetic Self-Assertion in Jean Lemaire De Belges’s 1506 “Les Regretz de la Dame Infortunee” », Romance Notes, vol. 47-3, 2007, p. 313-321.

[27] Lemaire ne cesse de transformer les codes qu’il se doit d’utiliser, et ses expériences sont toujours passionnantes. Ainsi, dans La Plainte du Desiré, qui déplore la mort de Louis de Luxembourg, comte de Ligny (décembre 1503), met-il en scène Dame Nature pétrifiée de douleur, « l’œil immobile » et la bouche muette « par force d’estonnement » (éd. Dora Yabsley, Paris, Droz, 1932, p. 67) : traumatisée, dirions-nous. Ce sont donc ses suivantes, Peinture et Rhétorique, qui vont parler à sa place – et remettre en place à elles deux, au second degré en quelque sorte, la structure canonique. Au moment de lamentation correspondent les efforts de Peinture pour représenter le défunt et les « regretz » que sa mort inspire : elle n’y parvient pas et ne réussit qu’à faire sangloter tout le monde – sauf Nature, qui persiste dans son « estonné maintien », ne montre aucun « mouvement sensitif », mais trouve quand même la force de lancer un coup d’œil suppliant à Rhétorique (p. 76). Le discours réparateur de celle-ci calme méthodiquement l’assistance, mais ne la laisse, comme il se doit, que « demy » consolée. Il en va de même, cette fois, pour Nature : elle a repris des couleurs (son visage est « plus rosaïcque que paravant ») et sa contenance paraît maintenant « assez tranquille et serenée » ; mais elle ne dit toujours rien et se borne à saluer du regard, avant de disparaître « avec ses deux belles nymphes » (p. 91).

[28] Lemaire, La Couronne margaritique, édition citée, p. 40.

[29] Lemaire, vv. 151 et 119-120, p. 39 et 38.

[30] Lemaire, p. 42.

[31] Lemaire, p. 32.

[32] Lemaire, p. 44.

[33] Alain Chartier, Le Livre de l’Espérance, éd. François Rouy, Paris, Champion, 1989, p. 3. Voir entre autres sur ce texte l’étude de Tania Van Hemelryck, « Le modèle du prosimètre chez Alain Chartier. Texte et codex », in Le prosimètre à la Renaissance, op. cit., p. 9-19.

[34] Chartier, Le Livre de l’Espérance, p. 21-22.

[35] Chartier, p. 23.

[36] Chartier, p. 101-132.

 

 

 

Powered by : www.eponim.com - Graphisme : Thierry Mouraux   - Mentions légales                                                                                         Administration