Séminaire de Patrice Loraux  : 

« La topique de l'époque » (5)

Séance du 2 mai 2016

 

Préambule

Patrice Loraux est philosophe : agrégé, il a été maître de conférences à l’Université Paris 1 et directeur de programme au Collège International de Philosophie de 1989 à 1995. Il a écrit Les Sous-main de Marx (Hachette, 1986) et Le Tempo de la pensée, Seuil, 1993, et de nombreux articles.

Mais Patrice Loraux préfère dispenser un enseignement oral, penser-parler : et il suffit de l’écouter une fois pour comprendre. Il donne un séminaire à l’EHESS depuis 1995 (105, bd Raspail, s. 2). Nous sommes heureux et fiers que Transitions l’accueille cette année. (lire la suite)

H. M.-K.

 

 

 

 

Patrice Loraux : la topique de l'époque (5)

Séance n° 5, 2 mai 2016

 

 
 

 

 

 

 

           

00:00:00 → 00:01:50

00:00:00 → 00:01:39 Le problème majeur : le philosophe et l'époque. Une formulation insuffisante.

00:01:39 → 00:03:32 Philosophie : activité autonome, contraire de l'idéologie. Epoque : la figure formée par quelques pôles qui ne changent pas mais qui au cours des siècles reçoivent de nouveaux usagers.

00:03:32 → 00:06:35 Problème : comment considérer La Recherche du temps perdu : un journal de bord de son époque ou une œuvre indépendante de son époque ? Question si épineuse qu'on ne peut l'éviter ! Même question pour Hegel, Nietzsche, Freud, Aristote.

00:06:35 → 00:07:32 Annonce du sujet de cette séance : le rapport qui ne se stabilise pas, le « et » entre le philosophe et l'époque.

00:07:32 → 00:10:11 La réflexion tournera autour d'une fable où il y a : l'ancien élève de Sciences Po, un personnage qui colle à l'époque.

00:10:11 → 00:14:26 Deuxième personnage de la fable, le philosophe, qu'il faut dédoubler en : l'observateur et le philosophe à l'ancienne. Ce dernier est inclus dans son époque, toléré s'il ne touche ni à la religion ni à la politique.

00:14:26 → 00:19:32 Digression sur Thalès tombé dans le puits : figure du philosophe, qui est toujours dans le puits. Différentes stratégies pour en sortir : creuser, pour arriver à la caverne et en sortir (Platon) ; détruire le puits comme la taupe détruit sa tanière (Kafka).

00:19:32 → 00:23:01 L'observateur et sa fonction. Le bon observateur a besoin, au préalable, de se désintoxiquer. Désintoxication : se méfier du verbiage (des mots qui parlent des mots, Valéry) ; se méfier des chefs ; se méfier de toute croyance ; se méfier de toutes les peurs (Descartes et le cogito).

00:23:01 → 00:27:10 Le bon observateur est sans passion. Raymond Aron (exemple d'observateur, mais passionné). Neutralité de l'observateur. Le philosophe a beaucoup de passions, surtout la passion de l'hyperbole (Platon, Aristote, Deleuze, Guattari). Objectif : dégonfler le haut dire du philosophe (Parménide, Hegel, Heidegger), car les tenants de ce langage sont dangereux. Attitude conseillée : méfiance.

00:27:10 → 00:50:52 Quatre observatoires de l'observateur, quatre statuts à observer. 

  • 00:27:55 → 00:31:02 Le statut du terrible : chaque époque a son terrible. Le terrible chez les Grecs, to dein. Le terrible grec est proposé et neutralisé à travers la tragédie. Toute philosophie s'occupe, en dernière instance, du terrible.
  • 00:31:02 → 00:37:44 Le statut de l'espace-temps. Aujourd'hui cet observatoire a disparu : à sa place, il y a la communication. Cet observatoire, dans cette époque, prend la forme d'un tout-circulant interminable. L'observateur ressemble à Monsieur Teste, il observe toute circulation, mais sans passion.
  • 00:37:44 → 00:47:13 Le statut du par quoi ça tient : consistance des choses, des matériaux. Les choses tiennent grâce à : forces, dieu, hasard, mouvement. Aristote, qui indique les questions qu'il ne faut pas se poser. Bossuet, Plotin, Thomas d'Aquin. Interrogation autour de ce qui tient aujourd'hui.
  • 00:47:13 → 00:50:52 Le statut des absences (image, Dieu, grandes idées). Il n'y a pas d'époque qui ne se soucie pas des absences. Est-ce qu'il y a un lieu aujourd'hui ?

00:50:52 → 00:56:22 La topique classique. Critique de l'utopie et de la croyance.

00:56:22 → 00:59:16 La nouvelle topique. Forme fermée : l'époque ne veut pas de dehors, on n'y circule que dedans.

00:59:16 → 01:02:20 La structure de l'époque se compose de strates ou zones contiguës. Existence de zones d'autonomie.

01:02:20 → 01:07:16 Exemples de zones d'autonomie : l'art au XIXe siècle. Les mathématiques, où il y a un noyau indépendant de l'époque. Tâche de l'observateur : chercher dans chaque zone autonome ce qui est autonome et ce qui est devenu marchandise. Autre zone d'autonomie : la philosophie.

01:07:16 → 01:09:12 Supposition : qu'il y ait un sous-sol de zones d'autonomie inaccessibles à l'époque qui est en surface. Deux caractéristiques de l'inaccessible : il est accessible sous condition de savoir entrer ; il est sans fin.

01:09:12 → 01:12:40 Zoom sur la zone autonome de la philosophie. Le philosophe, quoique borné (dans le puits), ne perd jamais le sens du (très) loin.

01:12:40 → 01:14:52 Problème : comment l'observateur fait-il parvenir ses informations au philosophe dans le puits ? L'observateur, on l'appellera Bourdieu, le philosophe Jean Wahl (digression sur J. Wahl, exemple de philosophe à l'ancienne).

01:14:52 → Les caractéristiques de la philosophie à l'ancienne :

  1. 01:15:04 → 01:16:40 La philosophie comme recherche de coordonnées pour soulager le philosophe perdu dans un coin de l'univers ;

  2. 01:16:40 → 01:20:25 La métaphysique et ses apories (Aristote, Kant) ;

  3. 01:20:25 → 01:28:52 L'ontologie. Définitions de l'être. Aristote, Heidegger ;

  4. 01:28:52 → 01:32:30 La pensée, qui empêche la diffusion d'idées fâcheuses dans la société.

01:32:30 → 01:35:35 Dialogue entre Bourdieu et J. Wahl. Accusations réciproques d'être ridicule et peu profond.

01:35:35 → 01:36:46 Objectif : empêcher que le philosophe occupe à la fois la surface et le profond (comme l'a fait Heidegger). Ce point sera développé dans la séance suivante.

01:36:46 → 01:37:35 La philosophie peut très facilement dévier dans une idéologie dissimulée.

01:37:35 → 01:41:02 Définition de la crise et son caractère viral. La crise oblige l'observateur à entrer dans la profondeur : l'observateur doit devenir philosophe.

01:41:02 → 01:43:53 Le philosophe à l'ancienne pour sortir de son enfermement doit plonger dans une philosophie et s'y perdre. Husserl, Hegel.

01:43:53 → 01:47:11 Philosophie comme baptême : après la plongée, on est dans l'égarement complet, il faut trouver son chemin. Aristote et la question des limites à ne pas franchir.

01:47:11 → 01:49:10 Le bord de la topique est le langage. Expériences qu'on peut faire sur ce bord : la percée et la brèche. La percée se confronte au terrible (dont on voit les signes et non pas la chose en soi).

01:49:10 → 01:50:20 Bord, butée, percée, brèche sont des philosophèmes que la philosophie à l'ancienne ne pratiquait pas. On les appellera ultra-philosophèmes, moments où la philosophie est obligée de changer de registre. Ex : passage à la poésie.

01:50:20 → 01:52:10 L'ultra-philosophe est celui qui sait qu'il va perdre sa qualité de philosophe.

Auteurs cités : Aristote, R. Aron, Bossuet, Bourdieu, Claudel, Deleuze, Derrida, Descartes, Fink, Guattari, Hegel, Heidegger, Husserl, Kafka, Kant, Lévinas, Parménide, Pascal, Plotin, Proust, Richir, Thalès, Thomas d'Aquin, Valéry, J. Wahl, E. Weil, Wittgenstein.

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