Republication

 Michel Jourde,  Louise Labé, deux ou trois choses que je sais d'elle


 

 

Préambule            

Poétesse française du XVIe siècle, Louise Labé a-t-elle jamais existé ? Régulièrement posée, la question a été au coeur de la polémique en 2006. Aussi aguicheur que la médisance, ce genre de soupçon séduit nos âmes postmodernes. Dans un texte publié en 2008 (4810. Cultures et société en Rhône-Alpes, n°2, avril-mai-juin 2008, p. 74-78), Michel Jourde le démonte et le déplace patiemment, ardemment. Refusant "de renvoyer au magasin des farces et attrapes" la place que les vers "brûlants" de Louise Labé ont tenue dans l'histoire, il témoigne pour toutes "les femmes qui ont cru entendre au fil du temps une voix complice dans les mots signés du nom “Louise Labé”." Et il nous place face à nos responsabilités : que fait un tel soupçon quand nous l'enseignons, que faire de lui dans nos classes?

H. M.-K.

Michel Jourde est spécialiste de la littérature française du XVIe siècle et maître de conférences à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon.Il travaille actuellement sur le livre lyonnais du XVIe siècle. Il a édité avec Jean-Charles Monferran l'"Art poétique" de Jacques Peletier (Champion, octobre 2011) et prépare l'édition des écrits de l'imprimeur et libraire Jean de Tournes. 

 

 


Louise Labé, deux ou trois choses que je sais d'elle

 

Michel Jourde

30/09/2011 

 

Un après-midi de décembre 2007, dans un magasin très fréquenté où l’on vend de la culture sur supports technologiques, de la technologie culturelle, du culturel technologique, ce qu’on voudra – et pour quelque temps encore des livres. Devant le maigre rayon « Poésie » où je cherche une introuvable nouveauté, des lycéens se chamaillent. Pour embêter un garçon (« Tu vas voir ! »), une fille tend la main vers une brève anthologie de poche dont elle connaît visiblement le contenu et commence à lire, assez haut pour qu’on entende et pour que le garçon rougisse : Baise m’encor, rebaise moy et baise… Plus le garçon proteste et gesticule (« Non mais ça va pas ! »), plus la fille parle fort. L’interprétation rythmique des décasyllabes peut prêter à discussion, mais le vieux sonnet du XVIe siècle, le dix-huitième des vingt-quatre de Louise Labé, aura été lu en entier, jusqu’en ses vers 13 et 14 (Et ne me puis donner contentement, / Si hors de moy ne fay quelque saillie), c’est-à-dire jusqu’au moment où le garçon, résistant et vaincu, a touché le bras – j’ai baissé les yeux.

Il n’est certes pas neuf que des jeunes gens jouent à faire participer aux jeux de l’amour les livres et les mots qu’ils contiennent. On a même pu dire que la littérature servait d’abord à cela. Si certains détails de la scène – le magasin de livres, l’anthologie poétique, le format de poche – peuvent passer pour des marques de notre modernité, c’est une illusion : tout cela est vieux comme les livres.

Il y a quelques décennies, on aurait vu dans cette scène la trace de révolutions en cours, concernant les femmes, la jeunesse, ou l’accès à la culture. Il y a quatre décennies, exactement, Colette Magny chantait ces mêmes vers sur un disque Chant du Monde, où, émergeant des slogans léninistes ou castristes soutenus par la guitare de Mickey Baker et la basse de Beb Guérin, Louise Labé rejoignait la femme du combattant vietnamien ou l’inoubliable « dame du Guerveur », femmes en lutte par le cri ou le murmure. Je ne suis pas sûr qu’à l’étage inférieur du magasin on puisse trouver une réédition de ce disque, dont l’original se vend pourtant à prix d’or au Japon. De toute façon, ces temps-ci, les choses sont moins claires, elles sont même en train de devenir franchement compliquées.

Au printemps 2006, Louise Labé s’est en effet trouvée projetée sur la scène publique, comme il arrive rarement aux auteurs français du XVIe siècle. Il ne s’agissait pas cette fois de célébrer dans les pages culture des magazines ou des quotidiens une de ces rééditions toujours indispensables et novatrices d’un texte classique plus ou moins mortibus, mais de révéler l’inexistence de Louise Labé. La révélation était due à Mireille Huchon, professeur à l’Université Paris IV[1], et se trouvait relayée, dans le dernier quotidien payant du soir, par Marc Fumaroli, ancien professeur dans la même université et désormais de l’Académie française. On croyait savoir que Louise Labé était une femme et fille de cordiers lyonnais ayant publié en 1555 chez le prestigieux imprimeur et libraire Jean de Tournes un unique volume d’Euvres, contenant une épître-manifeste féministe, un dialogue mythologico-philosophique sur l’amour, trois élégies passionnées et vingt-quatre sonnets fiévreux, le tout suivi d’un ensemble collectif intitulé « Escriz de divers Poëtes, à la louenge de Louïze Labé Lionnoize », mais il n’en était rien. La dame était « imaginaire » et devait être remplacée dans les histoires de la littérature par les noms de quelques messieurs d’alors dévoués à une « littérature raffinée » et doués d’une « ironie supérieure »[2].

A y regarder de plus près, Mireille Huchon ne disait pas vraiment cela – mais l’habile maniement de l’épée d’académicien ne laisse pas toujours le temps de lire les livres. L’ouvrage ne prétendait nullement que Louise Labé n’eût pas d’existence réelle et fût à proprement parler « une créature de papier » : il défendait la thèse selon laquelle le livre publié sous le nom de Louise Labé en 1555 était sans rapport avec cette existence. On avait bien jadis, comme avec à peu près tous les écrivains d’identité féminine ou d’extraction populaire, cherché à attribuer ces vers à d’autres. Mais Mireille Huchon cherchait plutôt à tirer profit des apports les plus récents de la critique littéraire : celle-ci nous a en effet appris que les textes signés par Louise Labé sont nourris de lectures très diverses et souvent très savantes ; elle a étudié les curieuses interférences des voix masculines et féminines qui hantent cette écriture ; elle a souligné le caractère codé, artificiel, indirect, de la poésie amoureuse du XVIe siècle et de celle-ci en particulier ; elle a exhibé la construction, elle aussi très artificielle, des « Escriz à la louenge de Louïze Labé », qui réutilisent plusieurs poèmes écrits pour de tout autres occasions. Sans apporter aucun fait nouveau, Mireille Huchon émettait à présent une autre hypothèse : celle d’une « entreprise collective », dans laquelle des poètes lyonnais et leurs amis auraient déployé leur goût à l’italienne pour le paradoxe et la satire et leur intérêt pour les débats philosophiques concernant la nature de l’amour.

Chaque fait connu était réexaminé à la lumière de cette hypothèse : si le nom de Louise Labé ne fut guère célébré en dehors du fameux petit livre, c’est (sans doute) parce que « personne n’était dupe » de la supercherie ; si, trente ans après la publication du livre, le nom de Louise Labé s’est trouvé associé à celui de la « Belle Cordière », qui était apparemment le nom d’une Lyonnaise de mauvaise vie, c’est (sans doute) parce que Louise Labé était une putain à laquelle d’habiles poètes se sont amusés à prêter une production littéraire ; si l’un des sonnets du livre commence comme un sonnet d’Olivier de Magny, c’est (sans doute) parce qu’Olivier de Magny en est l’auteur, etc. C’est ainsi que, dans les dernières pages du livre, Mireille Huchon en vient à attribuer chaque partie des Euvres à tel ou tel des auteurs, Maurice Scève, Claude de Taillemont, Olivier de Magny, ayant participé à l’« œuvre mystificatrice ». Cependant, la preuve manquait toujours : aucun témoignage du XVIe siècle connu à ce jour ne vend la mèche.

Avouons-le, nous qui sommes payés par l’Etat afin de lire ces vieux mots du XVIe siècle entre nous ou en compagnie d’étudiants plus ou moins coopératifs : dans ce printemps, cet été, cet automne 2006, nous ne parlions plus que de cela. « L’as-tu lu ? » « Qu’en penses-tu ? » Les étudiants, surtout ceux qui avaient préparé l’année précédente l’agrégation de lettres et que nous avions maltraités lorsqu’ils se montraient insensibles à l’éclatante cohérence des Euvres de Labé, erraient dans les couloirs à notre recherche, l’air soupçonneux, méchant parfois. Depuis, certes, plusieurs comptes rendus[3] savants publiés dans de savantes revues ont, avec courtoisie et précision, inventorié les raisons de n’être pas convaincu : interprétations discutables, erronées ou invérifiables de documents textuels ou iconographiques, contradictions pures et simples dans les démonstrations, surtout une singulière façon de considérer comme démontré ce que l’on a avancé comme seulement possible et rien de plus. Ne donnons qu’un exemple : dans la célèbre épître qui ouvre le volume, la signataire « Louïze Labé » s’adresse à une jeune fille pour défendre l’accès des femmes aux « sciences et disciplines » et à des pratiques savantes, littéraires ou artistiques qui feraient d’elles les véritables « compagnes » des hommes dans les « afaires publiques » ; cette épître se trouve attribuée par Mireille Huchon au poète lyonnais Claude de Taillemont, en raison des positions « féministes » exprimées ailleurs par ce poète lyonnais, alors que, dans le même temps, l’épître est décrite comme une pièce maîtresse dans un dispositif misogyne visant à « moquer » une femme ! On s’y perd.

D’autres comptes rendus paraîtront encore et il est déjà vraisemblable, pour parler comme l’auteur, que le livre de Mireille Huchon reste moins comme la révélation annoncée que comme le témoignage d’une étrange rencontre entre de très anciens préjugés – sur qui est capable et qui est incapable d’écrire, sur la faible valeur de ces vers amoureux… – et une démarche relativiste, finalement assez postmoderne, qui accorde systématiquement plus de crédit au soupçon qu’aux faits établis. Non pas qu’il n’y ait pas de raison de douter, et certains des comptes rendus les plus dévastateurs sont d’ailleurs rédigés par des collègues qui, avant Mireille Huchon, doutaient déjà du fait que Louise Labé puisse être l’auteur des textes parus sous son nom ; mais au moins faudrait-il que l’expression du doute serve le désir d’établir des faits. Quoi qu’il en soit, la rumeur persiste qu’il a été démontré que

Rapportée à cette rumeur, la scène du magasin a bien de quoi déprimer : ne faut-il pas enfin révéler à ces jeunes gens que ces mots brûlants ne sont que « moquerie » ? Que cette voix de femme aimante est en réalité celle d’hommes érudits ? Que, si l’on a longtemps cru le contraire, c’était par incompétence ? Que, d’ailleurs, la question du « tort » fait aux femmes par les hommes et des manières de le réparer, question traitée en toutes lettres dans l’épître liminaire des Euvres, ne se pose pas ? Que les fils que nous croyons pouvoir tendre entre la vie d’aujourd’hui et les mots d’hier sont toujours des illusions ? Il ne s’est rien passé, il ne se passe d’ailleurs jamais rien, taisons-nous. Et que se taisent en premier les femmes qui ont cru entendre au fil du temps une voix complice dans les mots signés du nom « Louise Labé »[4].

La révolution féministe n’a pas eu lieu. Soit[5]. Louise Labé, femme du peuple devenue poète lyrique par amour, n’a pas eu lieu non plus. Soit. Mais pourtant quelque chose a bien eu lieu (ce livre de 1555), qui fait que quelque chose a encore lieu aujourd’hui (la scène du magasin), et qui peut faire que d’autres choses auront lieu, qui continueront de concerner la relation entre les femmes et les hommes et le rôle que jouent dans cette relation les opérations de prise de parole et de publication.

Ces choses qui ont lieu, c’est l’histoire. « Alors, comme ça, tu y crois encore, à l’histoire ? », dira-t-on. Qu’elle n’ait pas de sens, c’est-à-dire qu’elle ne soit pas orientée vers une fin nécessaire, par exemple une révolution, une libération générale et définitive, ne signifie pas qu’elle doive être perçue et présentée comme un canular. Les intentions qui ont donné naissance aux Euvres de Louïze Labé Lionnoize étaient assurément plurielles, peut-être conflictuelles ou contradictoires ; mais c’étaient bien des intentions. La pratique du soupçon tous azimuts n’est pas à même de décrire correctement des intentions, qui sont toujours les agents d’une histoire. Le rôle tenu en 1555 par le nom de femme « Louise Labé » dans ces intentions n’est en aucune sorte réductible à une supercherie, dont on attend toujours, à la fin du livre, d’apprendre qui en était, précisément, l’instigateur et qui en était, précisément, la dupe. Le concept de « supercherie littéraire » signe d’ailleurs l’anachronisme de cette approche : pour qu’on invente la « supercherie littéraire », au XIXe siècle – et M. Huchon ne manque pas de signaler qu’elles ont souvent donné naissance à des identités féminines de fantaisie – il a fallu que se structure d’abord le monde littéraire, que ses acteurs soient socialement définis d’une manière à peu près stable, que les rôles des femmes et des hommes y soient clairement distribués. La situation du XVIe siècle n’est pas celle-là, les historiens ne cessent de nous l’apprendre. C’est précisément l’histoire qui fait ici l’objet d’un dédain obstiné, l’histoire dans ses différents aspects.

Lhistoire des femmes, d’abord. M. Huchon choisit de ne rien dire de leur présence, attestée mais extraordinairement masquée, dans la vie de la culture et du livre au XVIe siècle. Cette obscurité et ce silence ordinaires ne sauraient être réduits à une farce jouée par des hommes. Si l’on n’inscrit pas l’affaire Louise Labé et ses incertitudes dans un tel cadre, comment espérer les comprendre ?

L’histoire de la publication féminine, ensuite. En soupçonnant la supercherie dans toute publication féminine, on ignore la diversité et la complexité des conditions dans lesquelles une femme écrivant – puisqu’il en fut – pouvait accéder alors à la publication. Tandis que certaines pouvaient le faire en se fondant sur leur rang social, d’autres, les plus nombreuses, devaient s’allier à des hommes (maris, frères, relations…), dans des conditions qui ne pouvaient que susciter le soupçon. On en vit d’autres encore reprendre à leur compte des argumentaires féministes publiés d’abord par des hommes à des fins parodiques. La « pseudo-écriture féminine » – selon l’expression de M. Huchon – a assurément existé au XVIe siècle à Lyon et ailleurs en Europe, mais elle ne fut que l’un des aspects de cette situation fondée d’abord sur une dissymétrie brutale entre hommes et femmes dans l’accès à la publication.

L’histoire du lien entre publication féminine et prostitution. M. Huchon considère qu’une prostituée ne saurait être un auteur : tout au contraire, les hommes qui, à la fin du XVIe siècle, écrivent que Louise Labé est une prostituée ne remettent jamais en question le fait qu’elle soit aussi l’auteur de son livre. Ils l’écrivent même sans doute parce que, pour eux, une femme qui publie est toujours une femme publique, et qu’elle l’est doublement lorsqu’elle publie ce genre de choses.

L’histoire du livre lui-même. Les Euvres de Louïze Labé Lionnoize font partie des livres du XVIe siècle très minoritaires à afficher un « privilège » (le document administratif qui interdisait que l’on publie, pendant une durée déterminée, une édition pirate de l’ouvrage) sollicité non pas par l’éditeur, mais par l’auteur lui-même, « Louïze Labé, Lionnoize ». Ce document administratif inséré dans l’ouvrage de 1555 et reproduit – mais non commenté – par M. Huchon, serait-il un faux ? Mais alors obtenu par qui ? Grâce à quel stratagème ? A quel prix ? Qu’on ne compte pas ici sur l’imprimeur et libraire Jean de Tournes, homme prudent et surtout extraordinairement soucieux de respectabilité – au point de devenir « Imprimeur du roi » à Lyon quatre ans plus tard – pour tremper dans pareille affaire.

Sur l’histoire de ce Jean de Tournes, ce sont quelques erreurs de détail qui servent à minorer la singulière capacité de déplacement social dont témoigne son propre parcours. Non, il ne fut pas, avant de posséder son propre atelier, un savant homme travaillant comme « correcteur » chez les imprimeurs. Il fut bel et bien un « compositeur » d’imprimerie, apprenant les langues et les lettres les mains dans l’encre, créant son propre atelier lorsqu’il put s’installer dans la maison des parents de sa femme, elle-même fille d’un « blanchisseur de maisons », c’est-à-dire d’un peintre en bâtiments, et devenant vite célèbre à Lyon et au-delà, non pas pour son savoir, mais pour son savoir-faire – ainsi que pour sa capacité à faire se rencontrer des hommes de toute nation et de toute condition[6]. La circulation des livres dans les villes du XVIe siècle eut cette capacité de bousculer les frontières sociales qui paraissaient les mieux établies : Montaigne, voyageant en Italie en 1580, a raconté sa rencontre avec une paysanne illettrée qui faisait des vers pleins de souvenirs de l’Arioste et de mythologie antique, parce que, lorsqu’elle était jeune, un oncle de passage avait lu à haute voix les livres qu’il transportait toujours avec lui. 

Sur l’histoire de Louise Labé elle-même : voici un livre d’érudition qui choisit de ne pas analyser le contenu des quelques pièces d’archives que l’on possède sur cette vie, par exemple celles qui témoignent des relations de Louise Labé avec un banquier florentin, Thomas Fortini, qui plaçait son argent et devint son exécuteur testamentaire, et qui traitait tout particulièrement avec la ville de Rouen – seule ville où reparut étrangement, en 1556, l’ouvrage signé Louise Labé.

Sur l’histoire de la lecture de ce livre, enfin : M. Huchon évoque à plaisir le silence qui recouvrit très vite le nom de Louise Labé, même chez les femmes écrivains des décennies suivantes, mais elle aurait dû rappeler que son Débat de Folie et d’Amour fut republié en 1578 avec des œuvres de Madeleine et Catherine Des Roches, savantes dames poitevines. Elle aurait pu également signaler la lettre où Agrippa d’Aubigné, qui n’était pas tout à fait ignorant des choses littéraires, nomme Louise Labé en deuxième position après Marguerite de Navarre, pour offrir à ses propres filles, qui la lui avaient demandée, la liste des « femmes doctes de nostre siecle ». Cette lettre est-elle aussi un faux ? Une farce paternelle de mauvais goût ?

C’est que l’histoire, comme le savaient les filles d’Agrippa d’Aubigné et leur père aussi, et peut-être comme le pressentait la jeune fille du magasin, cela bouge tout le temps et parfois dans l’ombre, lorsque d’invisibles transgressions font la nouveauté des « siècles », que cette nouveauté soit durable ou non. L’histoire de la naissance du livre de Louise Labé nous demeure, à ce jour, largement inconnue, faute d’archives : celles qui concernent Louise Labé sont trop minces, celles de l’atelier de Jean de Tournes n’ont pas survécu aux troubles et aux exils dans lesquels les grands acteurs de la culture lyonnaise sombrèrent après 1560. Les découvertes se font donc pas à pas, grâce à l’identification de certains acteurs, grâce à une meilleure compréhension du contexte, sans que l’on parvienne pour l’instant à reconstituer de manière satisfaisante le scénario de cette publication.

Mais il n’est pas rassurant que cette ignorance puisse être comprise aujourd’hui comme une occasion de renvoyer au magasin des farces et attrapes ce petit livre et la place qu’il a tenu dans l’histoire, de 1555 à Colette Magny, et assurément au-delà. Trois ans avant de chanter Louise Labé, Colette Magny chantait d’ailleurs Rainer Maria Rilke qui, entre 1911 et 1913, n’avait pas cru vain de consacrer un peu de son temps à traduire en allemand les beaux vers, osera-t-on encore dire jusqu’à plus ample informé, de Louise Labé.


[1] Mireille Huchon, Louise Labé, une créature de papier, Genève, Droz, 2006.

[2] Marc Fumaroli, « Louise Labé, une géniale imposture », Le Monde des livres, 11 mai 2006.

[3]. On trouve également en ligne une importante bibliographie consacrée à Louise Labé : http://www2.ac-lyon.fr/enseigne/lettres/louise/biblio.html

On peut lire les Œuvres complètes de Louise Labé dans l’édition de François Rigolot (GF, 2004), et les seules Œuvres poétiques dans l’édition de Françoise Charpentier (Poésies-Gallimard, 2006).

[4] Rappelons l’existence, à l’Université Lumière Lyon 2, d’un « Centre Louise Labé », qui, afin d’œuvrer « pour l’égalité des hommes et des femmes et pour les recherches sur le genre », a choisi de faire résonner les premiers mots de l’épître liminaire des Euvres : « Estant le tems venu, Madamoiselle, que les severes loix des hommes n’empeschent plus les femmes de s’apliquer aus sciences et disciplines… »

[5] A ce sujet, voir le roman parfait de la toulousaine Corinne Aguzou, La Révolution par les femmes (Tristram, 2006), auquel on ne peut même pas reprocher de ne pas citer Louise Labé, tant son accroche dit l’essentiel : « La révolution par les femmes a-t-elle échoué avant ou après avoir eu lieu ? ».

[6] Notons par ailleurs qu’une tardive tradition familiale des de Tournes dit que Louise Labé était, non pas sa putain, mais sa maîtresse.